19/05/2025
Hubert Perreau, notre ami, a tiré sa révérence
Par Florence Lagarde
Directrice de la rédaction et Directrice de la publication

L’ancien directeur des Affaires législatives et fiscales du CCFA est décédé d’un cancer à 72 ans. Personnage haut en couleur, il avait voué sa vie professionnelle à la défense des constructeurs automobiles. Hubert Perreau était un personnage original et fantasque. En témoigne cette commande qu’il m’a faite lorsqu’il m’a annoncé sa maladie : rédiger sa nécrologie de son vivant. Les témoignages que nous avons recueillis dépeignent une personnalité complexe où se mélangent droiture, humour, exigence, dureté et provocation.
Hubert Perreau aura mis autant d’énergie et d’ingéniosité à préparer sa sortie qu’il en avait mis dans sa vie professionnelle. Jusqu'à ses derniers jours, il est resté aux commandes et j'ai été à son contact pour réaliser sa nécrologie qu'il voulait lire ! C’est étrange et cela lui ressemble bien.
Il m’a ainsi adressé une liste de divers contacts, classés par ordre alphabétique, en me précisant qu’il avait veillé à la diversité des origines et de jugement. Certains étaient au courant de sa maladie, un cancer incurable en stade 4, d’autres ne l’étaient pas. Il m'avait bien précisé que le défunt n'avait pas que des qualités et que je devais en rendre compte aussi.
Après avoir été passionné par son travail, au point d’y perdre sa famille, il voulait avant de partir connaître l’empreinte qu’il avait laissé auprès de ses relations professionnelles et collègues, avec le souci qu’elle soit juste, y compris les faces sombres de sa personnalité.
Je crois pouvoir dire que les témoignages que j’ai recueillis l’ont ému et permis de partir serein. J’en ai recu une cinquantaine, certains s'adressant à lui, d'autres à moi dont j'ai choisi des extraits qui disent la richesse et de la diversité de sa personnalité.
Ces témoignages brossent le portrait d’un homme complexe d’une rare intelligence, travailleur acharné, attachant, attiré par un goût pour la provocation qui lui faisait parfois avoir des paroles inadéquates.
Ses compétences juridiques, sa rigueur intellectuelle, sa ténacité sont des qualités unaniment citées, son acharnement au travail aussi. "Vous étiez au service de votre employeur, très impliqué, trop même, au point de vous nuire personnellement avec des horaires anormaux", témoigne un ancien directeur du CCFA.
Son action pour la défense des constructeurs a été souvent déterminante, comme en témoigne un de ses interlocuteurs à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice : "Excellent juriste, à l’analyse très sûre, il s’est montré le défenseur efficace et résolu du monde de l’industrie alors que des arbitrages essentiels devaient conduire à des choix stratégiques, issus d’intérêts souvent contradictoires. Il a été, à cette occasion, l’ambassadeur des entreprises de l’automobile qu’il savait faire découvrir avec toute leur richesse."
"Même si nous avions de nombreux sujets de désaccord, sur des questions purement juridiques, les discussions que nous avons eu ont toujours été empruntes d’écoute et de respect mutuel", nous a dit un représentant du système judiciaire.
"Je suis revenu plus d’une fois de réunion en râlant mais j’adorais et redoutais son regard quand il voyait la faille et qu’il s’y engouffrait avec délectation. Grand professionnel", raconte un conseiller d'Etat.
Hubert Perreau, c’était aussi le sens de la répartie et un débateur de grand talent.
"Il défendait avec conviction et engagement les intérêts de la profession automobile et dès lors il savait être un fin négociateur afin de pouvoir trouver à l’instant T un accord permettant à toutes les parties de pouvoir signer en toute confiance", témoigne un ancien membre de la Commission des clauses abusives.
Il se battait sur tous les dossiers, ne cédant rien. "Hubert était pour nous le magicien des causes perdues quand le législateur à Paris ou à Bruxelles s’égarait dans des approches par trop technocratiques", témoigne un ancien représentant d’un constructeur français.
Un avocat confirme : "Nous avons mené ensemble des combats épiques pour que l’institution que tu défendais sorte la tête haute de certains guêpiers dans lesquels de mauvaises habitudes, pas nécessairement délictueuses avaient pu la mettre."
L’un des participants à la construction du système d’immatriculation des véhicules (SIV) qui officiait pour le ministère de l’Intérieur à l’époque raconte cette scène :
"Du monde autour des tables dans une des salles du ministère de l’Intérieur. Il me semble que dès l’abord, je repère la tête effilée d’Hubert, l’attention qu’il porte aux propos introductifs, une forme de concentration totale sur le sujet. J’ai tôt compris que ce juriste du Comité français des constructeurs d’automobiles, lobby puissant et indispensable était de ceux dont on ne force pas la main. Que pas davantage on lui ferait avaler des couleuvres et qu’on n’avait pas la moindre chance de lui faire prendre des vessies pour des lanternes. Œil d’aigle (ou de faucon ? de grand rapace intrépide, en tout cas), diction nette, confiante, précise, science juridique affutée et appuyée sur une grande capacité à exposer clairement et complétement les positions soutenues…
Assez vite aussi, toujours dans le cadre de ces réunions techniques qui se succédaient à bon rythme, je me suis aperçu qu’au-delà – mais peut-être aussi en fondement – de ces positions fermement tenues, Hubert s’appuyait sur une grande honnêteté intellectuelle. Et aussi sur un jugement très précis sur ce qui pouvait être obtenu de ses interlocuteurs, sur ce qui devait être concédé ou abandonné, sur les positions susceptibles de recueillir l’accord de tout le monde."
Certains représentants de fédérations professionnelles dont les intérêts étaient divergeants de ceux des constructeurs témoignent de leur respect pour ses qualités professionnelles : "C’était un technicien du droit ; je tenais toujours grand compte de ses avis et conseils. Son regard acéré sur ses congénères pouvait déranger mais il était souvent pertinent."
C’est aussi le cas d’un ancien représentant des concessionnaires qui se souvient des désaccords entre le CCFA et le CNPA (devenu Mobilians) : "Hubert avait une façon de les aborder avec humour, parfois de manière énervante, mais toujours avec une argumentation intelligente. Nous prenions un malin plaisir, lui et moi, à nous chercher, à nous provoquer, toujours avec respect et beaucoup de bienveillance."
Il était "un partenaire de référence et de confiance pour Mobilians au cours de ces dernières années", témoigne un dirigeant de l’organisation.
Sa rigueur faisait aussi de lui un interlocuteur respecté des syndicats de salariés, comme en témoigne un représentant de la CGT : "Hubert a été pour moi une belle rencontre. Toujours restés dans nos rôles, lui à l’UIMM, moi à la CGT avec un grand respect entre nous deux."
Dans l’univers un peu compassé du CCFA de l’époque, il détonait : "Pour le petit jeune que j’étais, les saillies d’Hubert étaient un vrai bonheur dans l’univers de la rue de Presbourg un peu poussiéreux", témoigne un représentant d’un constructeur français.
Hubert Perreau c’était aussi quelqu’un qui vous mettait à l’épreuve, vous jaugeait pour savoir ce que vous valiez. "Nous avons eu des débuts difficiles, Hubert ayant été un peu sceptique par rapport au milieu universitaire. Mais rapidement nous nous sommes très bien entendus, ce qui pour moi reflète chez Hubert, une première qualité qui est sa capacité à se remettre en cause", témoigne une professeur en droit.
Il n’hésitait jamais à bousculer ses interlocuteurs s’il jugeait que cela pouvait être utile : "Je respectais son ton direct parfois grinçant qui ne me dérangeait pas même si parfois il pouvait avec certains "pousser le bouchon un peu loin". Son humour et sa causticité apportait une certaine fraîcheur dans ce monde compassé et même parfois hypocrite dans lequel nous vivons", témoigne un ancien président de fédération professionnelle.
Il ne ménageait personne, pas plus ses chefs que ses collaborateurs. "C’est un garçon qui m’exaspérait, radical, extrémiste, toujours à fond. Il fallait de l’énergie pour le gérer. Je l’engueulais, il fallait sans cesse lui mettre le haut-là. En même temps, il avait une incroyable capacité à nouer des relations personnelles et il obtenait des résultats remarquables. Nous avons très bien travaillé ensemble", témoigne un ancien président du CCFA.
"Hubert est un excellent juriste précis, voire pointilleux. Ses conseils sont toujours pertinents et avisés. Son caractère effronté et son humour mal compris, peuvent cependant être agaçant et le desservir", témoigne un ancien vice-président du CCFA.
Hubert Perreau était aussi visionnaire avec une grande capacité d’adaptation aux enjeux professionnels. "J’ai le souvenir d’un esprit clair, parlant sans langue de bois. Il était clairement la personne la plus clairvoyante sur les problèmes de fonctionnement du CCFA. Son style ne plaisait pas à tout le monde", nous a dit un ancien dirigeant de PSA.
Il avait l’esprit pratique et savait anticiper les conséquences des règlementations : "Il savait faire remonter les difficultés de mise en œuvre pratiques du monde des garagistes formulant des propositions d’amendement, intervenant et plaidant sans faiblir notre cause et souvent avec succès", rapporte un directeur juridique d’un constructeur francais.
"J’appréciais ton franc-parler, ta capacité à mettre les sujets en perspective, ton agilité d’esprit et honnêteté intellectuelle, ton verbe haut, ton œil vif et rieur, ta culture sans fard, tes pointes d’humour espiègle et ton relationnel nous permettant d’obtenir un accès privilégié à ton réseau de personnalités compétentes, fiables et influentes. Tu étais radieux, comme un poisson dans l’eau dans les événements où je t’ai vu à l’œuvre comme le Mondial de l’Automobile ou diverses réunions de coordination", témoigne un ancien collègue.
La contrepartie de ces qualités est qu’il exigeait de ses collaborateurs le même engagement et pouvait se montrer odieux, voir blessant si le travail ne lui convenait pas. "Les travaux rendus étaient rarement assez bons et je t’ai parfois entendu faire des reproches excessifs voire injustifiés au détriment de certains collaborateurs", témoigne un avocat.
"Sa hauteur de vue pouvait nous laisser penser que nous n’étions pas toujours au niveau, nous pouvions en souffrir mais il savait aussi valoriser ce qui revenait aux équipes du CCFA ou des constructeurs sans jamais se l’appropier", témoigne une de ses anciennes collaboratrice avec qui les débuts n’avaient pas été faciles. "Nous en avons parlé ensemble et je pense que c’est ce qui a forgé en partie notre relation de confiance. Hubert a cette capacité à entendre, même le plus désagréable, dans une relation d’estime et de confiance, c’est ce qu’il attend de l’autre", ajoute-t-elle.
Personage complexe, Hubert Perreau était aussi apprécié pour ses qualités humaines, c’était un ami fidèle à qui on pouvait faire confiance et sur qui on pouvait compter.
"Un homme fiable mais intransigeant", témoigne un de ses amis. "Hubert est un homme à qui ont peut se confier sans être jugée en retour", témoigne un autre de ses amis.
"Son regard pétillant, prêt à rire, témoignait de cette humanité rare qui sait allier gravité et légèreté", se rappelle une représentante des constructeurs.
Il s’était investi également en tant que juge consulaire au tribunal de commerce de Paris et à la Commission des clauses abusives, mission dont il s’acquittait avec le même engagement que pour ses responsabilités au CCFA. Il était "un grand juge, un grand homme", nous a dit une administratrice judiciaire, "proche des justiciable et très constructif dans les solutions".
"Il aimait aller au devant des dirigeants en difficultés, les repérant dans l’espace d’attente avant leur audience, les invitant à venir échanger dans son bureau avant leur audience, leur permettant ainsi de l’aborder moins tendus", témoigne un de ses anciens collègues juge.
Il était aussi volontier provocateur et outrancier. "Il conjuguait un grand professionnalisme avec une compétence juridique extrêmement préciseuse, un goût certain pour la provocation – parfois pour susciter le débat, parfois… juste « pour le plaisir » - et une aisance oratoire dont il avait conscience pour convaincre de la justesse de ses propos", témoigne un ancien représentant du Medef.
Un avocat le décrit comme "un râleur au mauvais caractère prêt à n’importe quelle compromission pour faire un bon mot au détriment d’un imbécile prétentieux".
"Il dénotait par son panache, sa personnalité extravertie et ce que certains pouvaient considérer comme des excès, mais c’est grâce à des gens comme Hubert Perreau qui ne craignent pas d’enfreindre les convenances et de ne pas garder leur langue dans leur poche que la société progresse. Comme le dit si bien le conte d’Andersen, quand le roi est nu, il faut le dire et pas se taire, Hubert disait ce qu’il avait à dire et ce qu’il fallait dire", nous a confié un avocat qui l’a bien connu.
Un ancien directeur de fédération le résume ainsi : "Ta personnalité entière, ta compréhension des mécanismes profonds qui induisent pour la société française un certain déclassement, pour ne pas dire plus, ton humour pisse froid, tes provocations souvent outrancières, tes propos parfois très crus, tout cela, c’est toi Hubert…"
Il pouvait tenir des propos vulgaires qu’il savait choquant et cela l’amusait. Je peux témoigner qu’il a tenu à mon égard des propos déplacés (qu'il ne fallait bien sûr pas prendre au pied de la lettre...) et qu’il attendait qu’on le remette à sa place ! Evidemment, ces provocations lui ont valu de la part de certains (en vérité plutôt certaines) une inimitié tenace, ce qui a joué un rôle dans son licenciement.
Et en même temps, il savait se montrer d’une exquise courtoisie…
Ce mélange de qualités et d’excès, c’est sa marque de fabrique ainsi que le résume très justement un ancien collègue : "Pour mener sa mission à bien, il est doté d’un vaste répertoire qui va de l’amabilité extrême, en passant par l’emphase et la grandiloquence, jusqu’à l’insistance appuyée, voire la lourdeur. Il n’hésite pas à user de toutes les ficelles, ce qui l’amène parfois à être vu comme irritant, et pour certains odieux. Mais son professionnalisme, sa compétence, sa rigueur et sa loyauté, ont toujours fait de lui une personne reconnue et sollicitée."
Ils ont été nombreux à percevoir ses qualités et le parti qu’ils pouvaient en tirer après avoir été agacé par son style "provocateur, lourd, insistant, piquant". En témoigne son interlocuteur de l’époque au ministère de l’Intérieur : "Finalement, j’ai trouvé en toi un partenaire constructif (mais si !), cherchant un chemin pour nous accorder, et partageant avec moi une certaine idée de l’"intérêt général". Ça ne t’empêchait pas de défendre les intérêts ô combien particuliers de tes adhérents, mais sans leur ridicule arrogance. Je t’ai vite respecté pour cela. Mais quelle patience il fallait pour te supporter quand tu t’amusais à re-jouer au "Perreau" !!!"
Son départ forcé du CCFA en mai 2016 dans des circonstances qui vaudront une sévère condamnation de son employeur (dont nous avions fait état) a été d’une violence inouïe à la mesure de son engagement pour une institution à laquelle il avait sacrifié sa vie personelle. Il a payé au prix fort sa trop grande franchise.
Lors du procès, il recevra de nombreux témoignages de son investissement sans compter pour le CCFA et de son efficacité pour les intérêts des constructeurs et plus généralement les entreprises. En voilà deux extraits : "Ses analyses précieuses au contact des milieux politiques et professionnels, ainsi que sa connaissance fine et en profondeur des dossiers a toujours été un atout pour moi-même et le monde professionnel qu'il défendait avec pugnacité et succès auprès des pouvoirs publics et parlementaires dans le cadre de ses multiples responsabilités professionnelles et en particulier au sein du CCFA et du Medef", témoignera un juriste d'un banque lors de son procès contre le CCFA.
Un juriste du Medef dira : "Hubert était un travailleur, un contributeur pertinent et respecté du Medef (...) Il formait avec ses collaboratrices, qu'il associait aux travaux du Medef, une équipe efficace et productive."
Après son départ du CCFA, ses quatre enfants, Aliette, Bertrand, Rose et Luc, sont devenus sa priorité. Lorsque nous nous voyions il en parlait beaucoup. "Mon travail a été ma priorité, une véritable addiction. Le sursit qui m’est donné me permet de réparer mes relations avec mes enfants", m’a dit Hubert Perreau lorsqu’il m'a annoncé sa maladie, un cancer du pancreas et le verdict sans appel qu’il lui restait au mieux un an. Et les médecins ne s'étaient pas trompés...
"Hubert est une personne assez réservée, mais dans le fond il est plein d’amour pour son entourage. Il a du mal à faire le premier pas, mais ensuite il devient une autre personne", nous a dit un de ses amis.
Il avait cependant gardé un intérêt intact pour le secteur automobile dont nous continuions à discuter. Abonné à Autoactu.com, il n’écrivait régulièrement pour me donner son opinion sur des articles que nous avions publiés, désespéré par la tourmente dans laquelle se trouvaient les constructeurs et les équipementiers.
A la fin de sa vie, Hubert Perreau a montré une très grande dignité, parlant de sa maladie, de ses traitements et de sa mort avec légèreté. "La mort n’est rien", m’a-t-il dit lors de notre dernière conversation. Il restera pour moi une source d’inspiration.
Pour conclure je citerai un autre de ses amis : "J’espère avoir été digne de ton estime et de ta charité. Tu es le premier de mes proches auprès duquel j’ai la possibilité de témoigner de la sorte, au crépuscule de leur existence sur cette Terre. Aussi, je souhaite que mes pensées d’amour t’accompagnent vers l’Éternel. Je pense également très fort à tes enfants en qui tu vivras et qui pourront compter sur moi, toujours."
La cérémonie religieuse, célébrée par le père spiritain Marc Soyer, aumônier de l'Institut Gustave Roussy aura lieu le vendredi 23 mai 2025 à 15h00 en l'église Saint-Hippolyte, 27 avenue de Choisy - 75013 - Paris.
Elle sera suivie de l'inhumation du corps dans le tombeau familial au cimetière communal de Mérignas, le samedi 24 mai 2025 à 14h30.
Ni discours, ni fleurs, ni couronnes, selon les souhaits d'Hubert Perreau, pour ceux qui le souhaitent, un don en faveur de la recherche médicale peut-être fait en sa mémoire a indiqué la famille.