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Chronique - 15/02/2024 - #Toyota

Biaisés !

Par Jean-Philippe Thery

Biaisés !
David contre les Goliath motorisés.

Aujourd’hui, je me questionne sur une drôle de question…

Il y a quelques années, les têtes pensantes du constructeur pour lequel j’œuvrais au Brésil ont été prises d’un doute existentiel de dernière minute à propos d’un modèle dont le lancement était prévu quelques mois plus tard. Ce qui les empêchait de dormir était de savoir si l’objet de toutes leurs attentions serait ou non perçu comme un SUV par ses acheteurs potentiels, ce qu’ils désiraient ardemment. Après plusieurs nuits d’insomnie et comme toujours en pareil cas, l’affaire finit par atterrir sur le bureau du gars des études de marché.

Il a donc fallu trouver une salle assez vaste pour accueillir l’auto en question et quatre ou cinq véhicules de la même catégorie ou choisis comme "stimuli conceptuels", afin de les montrer à un échantillon de ceux dont le profil les désignait comme clients potentiels, afin qu’ils puissent répondre à LA question. C’est évidemment une étude qualitative qui fut choisie, puisqu’il n’était pas question de traiter un sujet aussi délicat par un simple questionnaire autoadministré. Quoiqu’il en soit, après de nombreuses heures d’entretiens individuels en profondeur et de "focus group" modérés par les spécialistes du meilleur institut que nous connaissions, sans oublier le temps consacré à l’analyse des avis ainsi recueillis, le verdict tomba enfin.

Ils s’en fichaient complètement.

Ces histoires de catégories et autres segments étaient selon eux des trucs de marketeux, tandis que le seul truc qui les intéressait vraiment, c’était de nous dire si telle ou telle voiture leur plaisait ou non et pourquoi. Je n’avais pourtant aucune raison de m’inquiéter en présentant ces résultats-là, puisque l’auto que nous leur avions montrée avait remporté les suffrages de la majorité d’entre eux. Et non, je ne dis pas que les études de marché servent essentiellement à rassurer leur commanditaires…En revanche, je répète volontiers que le métier de client, c’est d’être client et non point de décider à la place des responsables en charge de concevoir, marketer et commercialiser les produits qui leur sont destinés. Ce que ceux que nous avions interrogés à cette occasion n’avaient pas manqué de nous rappeler à leur manière.

Si je vous raconte tout ça, c’est que la question de savoir ce qui définit un SUV a réapparu ces derniers jours. Mais cette fois en France et principalement sur les réseaux sociaux, suite à la votation organisée par la mairie de Paris concernant la proposition visant à faire raquer -racketter dirons certains- les propriétaires de ce type de véhicule venant stationner dans la capitale. Débats dont il n’est pas ressorti grand-chose, en dehors du fait que les contours de la catégorie sont pour le moins flous, et qu’il est bien difficile de dénicher les critères objectifs permettant de la définir. Ce faisant, il me semble que les protagonistes de ces interminables discussions en ligne ont oublié de s’intéresser au libellé de la question à laquelle ceux qui ont visité l’un des 222 bureaux de vote montés pour l’occasion devaient répondre. Parce que suite à la campagne durant laquelle ils n’ont cessé de représenter les modèles de la catégorie comme de véritables chariotes du diable, les promoteurs du scrutin ont tout simplement botté la terminologie "SUV" en touche, en omettant soigneusement de la mentionner sur les bulletins :

"Etes-vous pour ou contre un tarif spécifique pour le stationnement de voitures individuelles lourdes, encombrantes, polluantes".

Autant dire tout de suite que si un responsable d’études s’amusait à rédiger un questionnaire d’enquête de la sorte, il serait sans doute pendu haut et court en place publique par les représentants de la profession (symboliquement, bien sûr). Que la ficelle soit si grosse explique d’ailleurs probablement un résultat pour le moins surprenant, puisque pas moins de 45,5% des votants ont choisi de ne pas sélectionner la réponse ostensiblement incluse dans la question. Quant à l’étrangeté méthodologique consistant à ne pas avoir mentionné dans le libellé de la dite question son objet principal, elle n’est évidemment pas dépourvue d’intention. Sans doute s’agissait-il d’occulter soigneusement comment le délicat exercice visant à définir la catégorie avait été grossièrement résolu. Parce que selon la mairie de Paris, un SUV est soit un véhicule thermique ou hybride rechargeable de 1,6 tonnes et plus, soit son équivalent électrique de 2 tonnes et plus. Particulièrement malchanceux avec leurs 1.620 kg d’automobile, les propriétaires de Toyota Prius en sont sans doute réduits à se demander si les hybrides non rechargeables échapperont aux mailles du filet, ou s’il leur faudra retirer le cric et la roue de secours du coffre avant de franchir les portes du périph…

Ceux qui auront été assez curieux pour pêcher cette info-là sur paris,fr auront sans doute également remarqué le tableau indiquant le "tarif spécifique" à destination des propriétaires de grosse bagnole sale, consistant en un triplement de la somme qualifiée de "normale", pourtant déjà salée. Une information apparemment jugée de peu d’importance, puisque ne figurant pas non plus sur le billet à glisser dans l’enveloppe, mais par laquelle on apprend que les conducteurs ciblés se verront aimablement solliciter 225 euros pour une période de 6 heures dans la zone du 1er au 11e arrondissement. Ou comment payer pas loin de l’équivalent d’une mensualité de LOA pour certains d’être eux, après une journée d’immobilisation dans un parking de la ville des lumières.

Mais revenons à la votation, dont les conditions apparaissent aussi rocambolesques que la question posée. De fait, ceux qui associent les périodes de scrutins aux panneaux électoraux posés devant les écoles en auront été pour leurs frais, puisque seules les affiches financées par la mairie ont eu "droit de cité", promouvant davantage la réponse induite que le vote en lui-même. Ce sont donc les réseaux sociaux qui ont pris le relais, théâtre d’une expression démocratique désordonnée où ceux qui prétendaient s’opposer à la parole officielle ont sans doute eu bien du mal à se faire entendre. Le temps d’une non-campagne, les édiles parisiens ont donc fait de leur ville une véritable "Place de la République bananière" en usant de méthodes habituellement réservées à des régimes peu recommandables, sans toutefois obtenir le même type de résultats.

Enfin, et dans la série des biais méthodologiques, j’ignore si je dois a) Pouffer de rire b) M’étrangler de stupéfaction ou c) Les deux (veuillez cocher l’option correspondant le mieux à votre opinion) face à la carte des résultats par arrondissement publiée dès le lendemain du vote par David Belliard. L’"adjoint à la Maire de Paris en charge des mobilités et de la transformation de l'espace public" nous en livre en commentaire une drôle d’analyse pseudo-sociologique, selon laquelle "Le rapport à la voiture dans la capitale est lié à son niveau de revenu. En gros, plus on appartient à un milieu aisé, plus on veut conserver sa voiture. Sans surprise, les habitants du 16e, un arrondissement huppé de la capitale, ont rejeté à 82% la proposition d'augmentation des tarifs. A l'opposé, les arrondissements de l'est parisien, plus mixtes socialement, ont, eux, voté massivement en faveur de la mesure".

Euh… non. Les parisiens des milieux "aisés" habitant les quartiers "huppés" ne peuvent pas avoir voté pour "conserver leur voiture" puisqu’ils ne sont pas concernés par une mesure visant les non-résidents. Des banlieusards pour la plupart s’agissant de ces derniers, dont la frange la plus modeste, "crit’airisée" comme indésirable sur le territoire parisien pour n’avoir pas les moyens d’une voiture assez récente est désormais rejointe par celle des "riches" lourdement véhiculés qui, s’ils ne sont pas totalement interdits de séjour, devront néanmoins s’acquitter d’un octroi majoré pour stationner intra-muros. Les propriétaires de "gros SUV" du 75 peuvent donc être rassurés puisqu’ils pourront continuer à se garer dans les mêmes conditions qu’auparavant, qu’ils soient complètement à l’Ouest ou pas.

Du reste, le véritable enseignement de cette affaire me semble démontrer à quel point la mise en scène opposant David B aux supposés "Goliath motorisés" n’a pas fait recette, quand bien même il s’agissait de faire cracher "les autres" au bassinet-horodateur. A l’instar des répondants de l’étude que j’ai organisée il y a quelques années au Brésil, les Parisiens ont semble-t-il surtout indiqué qu’ils se fichent pas mal de ces histoires de SUV. Un résultat identique donc, pour deux consultations différant profondément sur la méthode, puisque s’agissant de la première, il était question d’écouter attentivement ceux donnant leur avis en prenant le plus grand soin à ne pas induire leurs réponses.

En revanche, j’en suis encore à me demander qui des votants Parisiens non concernés ou des concernés non-Parisiens ont été les plus biaisés lors de cette drôle d’opération du 4 février…

Réactions

Combien a coûté cette mascarade et avec un taux de participation ridicule ?
De toute les façons du stationnement y’en a plus et bientôt plus de caisses non plus,Paris Centre se barricade comme pendant la Commune.

Purement d'un point de vue légal, comment est-il possible d'avoir une taxation différenciée en fonction de son lieux d'habitation..
L'égalité, une des 3 devises de la France étant totalement bafouée, je ne pense que cela soit bien constitutionnel...

... Comptage de biaisés ?
... La thèse de l'anti constitutionnalité soulevée par Fred & Rick est séduisante ...
Mais j'ai du mal à me convaincre que le Président du conseil en question se saisisse spontanément d'une question qui gênerait un "ancien compagnon de route" (non genré) ... Y aura t il un avocat zélé (altruiste ou concerné non Parisien ?) pour réunir les conditions d'une saisine ...
Nous verrons bien ...
;0)

Moi je vais aller voir mon maire local pour faire une votation qui viserai à instaurer un péage pour les parisiens de passage. Tiens... non mais des fois !

... L'effet sera sans doute plus immédiat que de tenter d'initier un R.I.P. .. Fred & R.I.C. (?)
;0)

La question de la votation vaut en effet son pesant de mauvaise foi.
J'en propose une autre : êtes vous pour ou contre le cancer ? Le vote des banlieusards est admis.

Les biaisés comptez-vous ?
Pour rendre service à Not'JP qui n'a pas vraiment osé la faire..
;0)
PS : ce qui est excellent dans la pure mauvaise foi de Notre Drame de Paris et ses sbires, c'est l'affiche qui propose une alternative supposée juste aux yeux du monde en proposant même PLUS de SUV ! C'est extraordinaire ! Et si la réponse des parisiens avait été inverse, la vile de Paris aurait acheté des Suves mazout en urgence !
Dans le genre foutage de gueule...

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