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Analyse - 20/01/2022

Question d’étiquette(s)

Par Jean-Philippe Thery

Question d’étiquette(s)
A partir du 1er mars, Citroën aussi devra tagger ses pubs.

De l’étiquette aux étiquettes, il n’y a qu’un pas. Qu’on ferait parfois bien de ne pas franchir…

Je me souviens de cette discussion avec mon prof d’espagnol.

C’était en 2013, à propos d’une mesure instaurée en Argentine -son pays d’origine- portant sur l’interdiction faite aux restaurants et bars de mettre une salière sur les tables. "Una decisión estúpida" de son point de vue, mais pas du mien. Considérant le grave problème de santé publique que pose la surconsommation de la poudre blanche de table, renforçant notamment les risques d’hypertension artérielle et d’accident vasculaire cérébral (AVC), il me semblait que les autorités du pays avaient trouvé une façon plutôt subtile de provoquer les consciences, sans coût ni travail supplémentaire pour les propriétaires des établissements concernés. Et surtout, personne ne pouvait arguer de l’atteinte aux libertés individuelles, puisque le consommateur souhaitant agrémenter son assiette d’une dose supplémentaire de chlorure de sodium pouvaient toujours solliciter l’objet distributeur au garçon.

Même si je n’en ai pas suivi tous les développements, je ne crois d’ailleurs pas que la décision du gouvernement argentin a provoqué le même tollé qu’à New York un an auparavant, lorsque Michael Bloomberg -alors maire de la grosse pomme- en avait pris plein la sienne après avoir voulu prohiber dans les espaces publics les récipients de soda supérieurs à 47cl. Toujours est-il qu’à la fin du cours, le professor avait changé d’avis après s’être rendu à mes arguments. Todo en español, por supuesto.

Dans le même ordre d’idée, on nous expliqua en France à la fin du siècle dernier qu’ « un verre, ça va, trois verres, bonjour les dégâts ». Un curieux slogan qui voyait la deuxième tournée passer à la trappe, à moins que ce ne soit dans les gosiers, mais qui marqua durablement les esprits de ceux qui regardaient la télé en 1984. Le publicitaire Daniel Robert à qui on le doit (et qui réitéra en 1991 avec "tu t’es vu quand t’as bu ?), fut également l’inventeur de Bison futé, un indien particulièrement sioux qui explique encore aujourd’hui avec succès à l’automobiliste gaulois ce que celui-ci ne serait pas disposé à entendre du gouvernement.

N’en déplaise aux défenseurs du minarchisme, l’Etat qu’ils souhaiteraient cantonner aux tâches régaliennes aime à se mêler de nos vies plus ou moins privées. Peut-être faut-il y voir un héritage de l’étiquette, cet ensemble de normes de bienséances destinées aux courtisans de François 1er, et qui trouva son apogée sous le règne du Roi-Soleil. Louis le quatorzième n’aimait en effet rien tant que d’assoir son autorité par le faste, lui qui se levait trois fois par jour, soupait à grand et petit couvert, et se couchait à deux reprises. Mais depuis, des têtes sont tombées, et la République a mué l’étiquette en étiquettes pour mieux parler à l’ensemble de ses citoyens.

Qu’est-ce de fait qu’un slogan, sinon une étiquette collée sur un visuel ? "Prenez la deuxième voiture" nous disait à la même époque des trois verres la RATP sur le ton de l’invite (même si j’ai mis du temps à comprendre qu’il ne s’agissait pas d’entasser les usagers dans le même wagon). Et combien de bienveillance prônée depuis 2007 par l’INTERFEL (Association Interprofessionnelle des Fruits et Légumes Frais) dans son exhortation à manger "cinq fruits et légumes par jour" ? "Mangez bougez !" de lui répondre le PNNS (Programme National de Nutrition Santé).

Il arrive même que l’étiquette en prenne véritablement l’apparence, comme lorsqu’obligatoire, elle s’affiche sur les paquets de cigarettes en promettant les plus funestes destins aux fumeurs, entre cancer du poumon, impuissance sexuelle et passage de vie à trépas, y rajoutant depuis 2017 le visuel peu ragoutant de victimes repenties de la clope.

Tout ça c’est pour notre bien collectif, à considérer le coût pas qu’individuel des calamités que représentent les excès alimentaires, l’alcoolisme ou l’addiction à la nicotine, et pour lesquelles nous payons tous. Evidemment, nombreux sont ceux qui m’objecteront ne pas être concernés, alléguant qu’on ne les influence pas de façon aussi grossière, et que le "Marketing", c’est pour les autres. Sans doute croient-ils ne pas entendre le bruit de fond que produisent ces messages, pas plus qu’ils ne perçoivent à quel point celui-ci nous impacte tous. Vous et moi ne mangerons peut-être jamais de carotte, betterave, brocolis, pomme et banane dans la même journée, mais quelque chose me dit qu’on se tournera de plus en plus vers les produits du potager pour se nourrir. Et à l’heure du Whisky où je vous écris, je viens de me faire infuser une camomille.

Tout irait sans doute pour le mieux si la machine ne s’était emballée, et qu’à force de vouloir nous protéger de nous-mêmes, les étiquettes ne s’étaient mises à proliférer de façon anarchique. Ça a commencé il y a longtemps, avec celles rédigées en Arial Narrow taille 5 en bas de page, que seuls relisent leurs propres rédacteurs et les juniors du service juridique. Des "mentions légales" qui se sont également imposées à la radio, quand un équilibriste de la diction les débite au rythme d’un album lu à 45 tours/minutes (équivalent de la fonction x1,5 sur WhatsApp pour les plus jeunes de mes lecteurs). Quand à l’ouverture d’une page sur Internet, elle se traduit depuis peu -même pour les plus innocentes- par l’éclosion de pop-up windows dont on cherche avant tout à se débarrasser, quitte à donner carte blanche à la CIA pour pénétrer dans les recoins les plus intimes de notre identité numérique.

Dans ce contexte, la publication par le Journal Officiel du "Décret n° 2021-1840 du 28 décembre 2021 relatif aux publicités en faveur des véhicules à moteur" a soulevé un véritable tollé au sein de mes contacts Facebook (mais pas que), parmi lesquels c’est le thème de l’infantilisation qui a été le plus mentionné. Ce qui les a fait réagir, c’est l’obligation faite aux annonceurs du secteur automobile à partir du 1er mars prochain, de promouvoir la mobilité "active" (celle qui fait suer), le covoiturage ou l’usage des transports en commun. Il s’agit concrètement de faire apparaître sur toute publicité consacrée à la voiture l’étiquette-dièse #SeDéplacerMoinsPolluer, accompagnée d’un slogan à choisir sur une liste de trois, dont je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la teneur.

"Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo"

"Pensez à covoiturer"

"Au quotidien, prenez les transports en commun"

Bon, le moins qu’on puisse dire, c’est que les instigateurs de cette géniale mesure ont clairement loupé leur cible. Considérant en effet que c’est son usage et non l’objet lui-même qui se voit pointé du doigt, c’est sur les portes de garage, les pompes des stations-service ou les bornes de recharge que ceux-ci auraient probablement dû afficher leurs mantras. On imagine d’ailleurs volontiers que pas un seul des automobilistes en phase d’achat d’une voiture neuve lisant l’un de ces pense-un-peu-bête ne renoncera pour autant à son acquisition.

Au reste, il y a plus grave, puisqu’on a confirmation -si besoin était- que les pouvoirs publics considèrent l’automobile comme un fléau, et son utilisation au même titre que l’absorption en excès de certains aliments liquides ou solides, ou l’inhalation de fumées toxiques. Au rythme où vont les campagnes de dénigrement de nos chères voitures et de ceux qui les conduisent, je m’attends à ce que la prochaine portraitise l’automobiliste en boomer ventripotent et cacochyme, portant fièrement son appendice nasal coloré par l’amour du terroir liquéfié. Un portrait qui correspond sans aucun doute à celui des 74% de français actifs qui utilisent leur auto pour effectuer leurs trajets domicile-travail et retour.

Du coup, je sens que ceux qui n’étaient peut-être pas tout à fait d’accord avec moi au début de cette chronique, commencent à se ranger à mon avis à propos du sel argentin. Sans doute parce qu’aussi utopistes que moi, il leur arrive parfois d’imaginer un gouvernement qui nous incite à l’usage des transports en commun avec des slogans sympas plutôt que lénifiants, et qui s’emploie surtout à rendre métros et bus plus accessibles, plus efficaces et plus sûr. Et puis qui nous invite aussi à circuler en harmonie entre piétons, cyclistes et automobilistes -statuts d’ailleurs parfaitement interchangeables- bref à une respecter une certaine… étiquette.

Il y a bien longtemps que je n’ai discuté avec mon professeur d’Espagnol. Mais si j’avais l’occasion de lui raconter les décisions qu’on prend parfois en France à propos de l’automobile, nul doute qu’il les qualifieraient de "medidas estupidas".

Et cette fois, je lui répondrais sans hésiter : "de acuerdo, profesor"

Réactions

Encore une fois sous la pression des Khmers verts, nos dirigeants nous prennent pour des débiles incapables de réflexion.
Il est évident que le "pensez à covoiturer", message le plus court, discret et le seul pro bagnole va maintenant fleurir sur nos pubs dans sa version la plus petite légalement autorisée.
Qui osera le slogan principal :
"Pensez à covoiturer, donc passez au SUV !"
;0)

On mesure bien le pouvoir des khmers verts,quand on voit l’accueil fait au nouveau Président de l’Europe hier par Jadot tel Robespierre demandant la tête à Macron .
Le plus drôle ou triste c’est que les Verts gouvernent la France depuis bientôt dix ans et Pompili en est et j’espère la dernière représente.
Le co voiturage nous l’avons inventé il y a plus de 20 ans en Bretagne,pas besoin de pub obligatoire.
Surtout lorsque l’on voit que les décisions des Verts sont difficilement compréhensibles,après avoir fait fermer une centrale nucléaire en bon état ils rallument celles au charbon,des vrais gagnants,du balai!!!

Merci Jean-Philippe ! Je viens de me mettre un nom sur mes idées "minarchistes" !

Je souhaiterais saluer ici le comportement stoïque et l’abnégation de ceux qui font du covoiturage en investissant leur argent pour l'achat de leur voiture et en assumant le nettoyage et l'entretien au profit de ceux qui ont les pieds sales, mangent et dorment pendant le trajet et qui ne disent pas bonjour, merci et au revoir car ils sont pressés !

Quand je lis la pub de la "7" ci-dessus je me dis que 9l/100 pour 38 ch alors que c'était une voiture révolutionnaire à l'époque...
;0)

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