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Chronique - 06/04/2023 - #Bentley , #Ferrari , #Jaguar , #Maserati , #Mercedes-Benz , #Porsche , #Rolls-Royce , #Ram

B(u)y the book

Par Jean-Philippe Thery

B(u)y the book
Le coupé Wraith, la dernière Rolls que j’ai vue. (Crédit photo : Rolls-Royce Motor Cars)

Il existe comme ça des marques plus faciles à trouver dans les pages des livres que dans la rue, et pour un prix somme toute modique…

Cent Francs

C’est ce que nous avions chacun gagné, deux camarades de classe et moi à glisser des tracts dans des centaines de boites aux lettres durant tout un mercredi après-midi. C’est donc grâce à l’institut de beauté promu par le prospectus et qui appartenait à la mère de l’un d’entre eux que j’ai gagné mon tout premier salaire, sous la forme d’un beau billet tout neuf. J’ignore ce que les autres en ont fait, mais moi, j’ai aussitôt échangé mes cent balles -l’équivalent d’environ 35 euros en comptant l’inflation- contre un bouquin consacré à une marque automobile.

J’aurais pu jeter mon dévolu sur Ferrari, Jaguar, Maserati, Mercedes-Benz, Porsche ou tout autre constructeur dont le nom figurait au catalogue d’une collection intitulée “Les grandes marques“ éditée dans les années 80 par la maison Gründ. Mais allez savoir pourquoi, c’est pour Rolls-Royce que j’ai opté. Un choix plutôt curieux pour un gamin en âge de fantasmer sur des voitures de course, rouges de préférence, mais peut-être les autres titres n’étaient-ils pas disponibles ce jour-là. A moins que l’ouvrage que j’ai décidé d’emporter n’ait été le seul dédié au constructeur britannique, lui conférant l’attrait de la rareté à une époque où les publications consacrées à l’automobile étaient beaucoup moins répandues qu’aujourd’hui. Je n’en n’ai pas moins mis un temps fou à me décider : pensez-donc, je n’allais tout de même pas lâcher mes premiers cent balles comme ça, sans m’être imaginé propriétaire de tout un paquet de trucs auxquels ils auraient pu me donner accès.

Bien qu’ayant songé dix fois à m’en débarrasser pour “faire de la place“, j’ai conservé quelque part le premier d’une longue série de livres consacrés à la bagnole que j’ai acquis au cours des années, lesquels attendent encore que je les sorte des cartons où ils sont enfermés depuis mon dernier déménagement. Et c’est par réseau social interposé que celui-ci m’est revenu en mémoire le 27 mars dernier, avec une publication rappelant qu’il y avait ce jour-là très exactement 160 ans qu’était né Sir Frederick Henry Royce, à Alwalton, dans le Cambridgeshire. Soit plus de 14 ans avant Charles Rolls, avec qui il devait former l’une des associations les plus célèbres de l’histoire des marques, et pas seulement automobile. J’ai d’ailleurs toujours pensé qu’avec une telle affinité phonétique, ces deux-là avaient quasi-obligation de conclure un accord, bien que la quasi-similitude des noms sur laquelle elle repose se traduise par un tas de prononciations fantaisistes de la part des néophytes, genre “Rollsrolls“ ou “Roroyce“-. Et même si rien ne semblait a priori devoir rapprocher le gamin issu d’une famille de meuniers du troisième fils de John Rolls de Llangattock, baron de son état, en dehors de leur insatisfaction quant à la piètre qualité de la production automobile de l’époque (du moins selon eux) et leur insatiable goût pour la perfection.

J’ai bien sûr appris tout ça dans les livres -en particulier l’un d’entre eux- et plein d’autres choses encore. Je me souviens notamment de la double page consacrée à la Silver Ghost de 1907, qui scella le destin et la réputation de la marque au double R comme constructeur des meilleures voitures au monde, de la disparition prématurée de Charles Rolls à 32 ans, de l’aventure américaine à l’usine de Springfield  (Massachussetts) durant les “roaring Twenties“, ou encore du rachat de Bentley en 1931. Il faut dire que j’ai dû le relire de nombreuses fois afin de rentabiliser mon investissement, au point d’en user les photographies à force de les regarder.

Pour chaque marque, on a tous en tête un modèle emblématique correspondant souvent à ce qu’on voyait dans la rue quand on était gamin, et qui nous a permis de la découvrir. Même si me concernant, apercevoir une Silver-Shadow en vrai constituait un évènement franchement exceptionnel. Pourtant, celle qui fit entrer son constructeur dans la modernité avec sa structure monocoque sortit à un peu plus de 30.000 exemplaires de l’usine de Crewe dentre 1965 et 1980, ce qui en fait aujourd’hui encore le modèle le plus diffusé de Rolls-Royce. Sa disponibilité sur le marché de l’occasion fut d’ailleurs au moins en partie à l’origine des infâmies dont le modèle allait souffrir durant les nineties, qu’il s’agisse d’un prix ridiculement bas le mettant à portée de propriétaires n’ayant généralement pas les moyens d’entretenir le leur correctement, de ceux transformés en “wedding car“ après un voile de peinture blanche appliqué par le carrossier du coin, ou de celui que Jeremy Clarkson trouva malin de précipiter dans une piscine à l’occasion d’un épisode de Top Gear, sans doute pour énerver James May qui en posséda un.

Mais alors que la Shadow connait de nos jours un début de réhabilitation, c’est à d’autres formes d’atrocités que sont soumis certains exemplaires de la gamme actuels, choisis dans des coloris peu compatibles avec la dignité seyant à une automobile de bonne famille, “wrappés“ en noir mat ou gold d’un mauvais goût massif, quand ils ne sont pas carrément affublés de jantes chromées affichant plusieurs inches au-dessus de la monte d’origine. Voilà qui ramène RR au même rang que certaines griffes de prêt-à-porter devenues pourvoyeuses de fringues ostentatoires en raison même du prestige dont elles étaient autrefois parées, mais qu’elles ont depuis perdu en route. De quoi alimenter les a priori négatifs s’agissant d’une marque qui plus que toute autre porte le poids du statut social auquel elle est associée, au point d’en faire oublier celui d’automobile d’exception.

Voilà qui explique probablement un bien étrange phénomène, pour le moins paradoxal s’agissant de modèles affichant une opulence décomplexée, puisque -au moins dans nos contrées européennes- les Rolls sont quasiment invisibles. J’en veux pour preuve mes observations régulières et impartiales effectuées sur le Kurfürstendamm, équivalent berlinois de nos Champs-Elysées, transformé le samedi en annexe de Modène ou Sant’Agata Bolognese (pas moins de six Lambo en une heure le week-end dernier), sans compter les nombreuses Aston, Bentley ou Maserati et encore moins la production nationale, sur laquelle on finit par ne plus se retourner afin de préserver les cervicales. Mais de Rolls-Royce, point. Du moins jusqu’à mon dernier passage où j’ai fini par suivre (brièvement) un coupé Wraith, à la fois inquiétant et superbe dans sa livrée noire, modèle au volant duquel je me verrais plus volontiers que sur la banquette arrière d’une Ghost ou d’une Phantom. Mais si je dis ça, c’est probablement parce que je n’ai pas les moyens de m’en offrir une.

Malgré toutes les affres qu’elle subit, "la" Rolls reste pour beaucoup -moi compris- un tel symbole d’excellence qu’elle frise la lexicalisation. La grammaire nous permet ainsi de nous offrir "la Rolls" de plein de trucs, qu’il s’agisse d’un stylo, d’un ordinateur portable ou encore d’un barbecue, et ce pour un tarif beaucoup plus accessible. A moins que la tendance inaugurée par la chanteuse colombienne Shakira dans son dernier morceau ne prenne, puisqu’elle y règle ses comptes avec son ancien compagnon parti avec une autre en affirmant qu’il a échangé une Ferrari contre une Twingo.

Voilà qui n’est pas très sympa avec ceux qui roulent en Twingo, dont certains rêvent de sportive italienne, de limousine britannique, ou des deux. En ce qui me concerne, il se passera sans doute pas mal de temps avant que je ne roule en contemplant une certaine statuette au bout de mon capot, par exemple grâce à mes livres (les titres que j’ai publiés, pas ceux des cartons). D’ici-là, c’est sans doute d’une Spectre que je signerai le bon de commande, modèle signant l’entrée de la marque dans l’ère électrique. Une évolution somme toute logique pour Rolls-Royce qui a toujours mis en avant le silence de ses moteurs, et une puissance longtemps qualifiée de « suffisante » sur la fiche technique. Sans compter que Sir Henry Royce se passionna très tôt pour la fée électricité, grâce à laquelle il fit ses premières étincelles à 19 ans en démarrant sa carrière dans l’une des premières entreprises britannique du secteur (c’est le cas de le dire), avant d’y fonder sa première société.

Et telle qu’on l’imagine, la marque qui siège désormais à Goodwood nous fera ça dans les règles de l’art. “By the book“, comme on dit là-bas.

Réactions

Jean-Philippe : la Rolls des chroniqueurs Auto !

Dingue... ça a aussi été mon premier livre automobile et je l'ai toujours ! Bravo Jean-Philippe.

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