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Analyse - 01/09/2022 - #Chrysler , #Nissan , #Cadillac , #Chevrolet

Detroit, at large (et en voiture)

Par Jean-Philippe Thery

Detroit, at large (et en voiture)
Le "RenCen", siège de GM (Crédit : BriYYZ)

C’est une chronique en forme de carte postale que je vous adresse aujourd’hui. Donc forcément rédigée sur un coin de table, un peu décousue et bourrée de clichés…

Chers lecteurs,

C’est en direct de chez l’Oncle Sam que je vous écris. Enfin presque, considérant que ça fait bien deux ou trois semaines que je suis revenu des terres nord-américaines. Sans compter que pour ceux qui n’auraient pas oublié de me suivre pendant leurs vacances -qu’ils en soient remerciés- la surprise est quelque peu éventée puisque c’est la quatrième chronique que je vous sers sur le sujet. Mais promis, c’est mon dernier quart d’écriture américain, en espérant que celui-ci ait l’heur de vous plaire…

Tout le monde sait que nos amis américains prononcent "Detroit" de traviole. Pour les fans de phonétique, ça donne quelque chose comme "dɪˈtrɔɪt", même si c’est d’un nom bien de chez nous dont a été baptisée la plus grosse ville du Michigan (et non sa capitale comme on serait tenté de le croire, rôle dévolu à Lansing). Normal puisque son fondateur naquit à Saint-Nicolas-de-la-Grave et que son patronyme ne peut masquer ses origines, même si Antoine de la Mothe prétendument Sieur de Cadillac n’était pas plus chevalier que vous et moi. Mais chacun sait que l’exode vers les mondes nouveaux permet bien des anoblissements à ceux qui le pratiquent, sans compter que "Cadillac" (à prononcer "kædɪlæk") a tout de même plus de gueule que "Laumet" (le vrai nom de famille de notre aventurier), surtout quand il s’agit d’orner en lettres chromées la façade de voitures de luxe.

Remercions à ce sujet Henry Leland d’avoir assuré une postérité motorisée à notre compatriote, non sans un sens aigu du marketing puisque celui-ci reprit le nom qui était sur toutes les lèvres en ville lorsqu’il fonda la célèbre marque en 1901, alors que l’on commémorait justement le bicentenaire de la cité. Quant à Detroit elle-même, il faut chercher l’origine de son appellation dans la rivière qui la traverse et constitue un passage resserré entre les lacs Erié au sud et Sainte Clair au nord. Et vu l’immensité de ces derniers, autant vous dire que celle qui forme une frontière naturelle entre les Etats-Unis et le Canada n’est pas près de se retrouver à court d’eau…

Pour autant, s’il y a un truc dans lequel le chef-lieu du Comté de Wayne ne donne pas, c’est bien l’étroitesse. Moi qui m’inquiétais de savoir où j’allais poser les 6 mètres de pick-up avec lesquels j’y ai débarqué pour la première fois, j’ai trouvé à m’y garer sans problème, nonobstant l’anecdote sur la "taille de mon engin" que je vous invite à lire ou relire dans "Oversize Matters". Il faut dire que contrairement à ce qu’on imagine volontiers des villes à l’américaine, Detroit ne cultive pas tant que ça le gratte-ciel, la forêt de béton verticale à laquelle je m’attendais ressemblant de ce point de vue plutôt à un bosquet. Mais impossible de ne pas mentionner ici le célèbre "Rencen", autrement dit l’ensemble des sept tours constituant le Renaissance Center inauguré en 1977, comprenant le siège de la GM qui en est propriétaire.

Ajoutez-y une trentaine de skyscrapers, dont la Chrysler House d’architecture néoclassique érigée en 1912 au 719 de la Grisvold Street, ou la Cadillac Tower qui exhibe depuis 1927 ses 40 étages néo-gothiques à hauteur du 65 Cadillac Square. Pour le reste, l’American Way of Life tel qu’on le concevait dans les Fifties s’y étale plutôt à l’horizontale sur 150.000 hectares (soit pas loin de 2 millions de terrains de baseball) avec ces maisons de banlieue telles qu’on les a tous vues dans les séries télévisées : plutôt de plain-pied ou d’un étage avec un carré de pelouse les séparant de la rue, une porte d’entrée double avec moustiquaire, et un driveway occupé par la flotte automobile familiale, les nombreux trucs accumulés dans le garage au cours des années en interdisant l’accès depuis longtemps.

Mais ce que ma tendre moitié venue me rejoindre sur place a retenu, ce sont surtout les Bambis, écureuils, lapins, marmottes ventripotentes et tamias (comme on aurait dû appeler les potes d’Alvin dans la version française du film). Tous y vivent en nombre mais y trépassent aussi, comme en témoignent ceux qu’on retrouve en piteux état le long des autoroutes urbaines sillonnant le secteur. Il faut dire que les chances de survie des pauvres bestioles entreprenant de traverser les freeways sont inversement proportionnelles au nombres de voies qui les constituent, pouvant aller jusqu’à 12 pour les plus larges d’entre elles.
De quoi néanmoins faire le bonheur des adeptes de la voie du milieu qui n’ont que l’embarras du choix. Ceux-ci constituent donc statistiquement l’immense majorité des automobilistes qui empruntent les voies rapides de toutes sortes, d’autant plus que dans le Michigan comme semble-t-il partout ailleurs aux States, on ne roule à droite ou à gauche ni en fonction de ses opinions politiques ni de sa vitesse, mais plutôt de l’humeur du moment. Un truc à rendre dingue les Allemands fréquenteurs d’Autobahn, comme expliqué par l’un d’entre eux dans une vidéo absolument hilarante, mais qui semble plutôt fonctionner chez l’Oncle Sam, même si les statistiques de la sécurité routière semblent contredire cette impression. Quoiqu’il en soit, ça plaira aux amateurs de dépassement par la droite, qui peuvent s’adonner tranquillement à cette pratique sans risquer de se retrouver avec une rampe de gyrophares dans le rétro.

Le genre de désagrément qui peut néanmoins survenir pour qui respecte un peu trop littéralement les limitations de vitesses. Je sais, ça paraît surprenant, mais ce qui compte dans certains Etats -dont évidemment le Michigan- c’est avant tout d’accompagner le flux pour ne pas le perturber. Et si la communauté éphémère de drivers au sein de laquelle on se déplace à décidé pour des raisons qui lui appartiennent de rouler à 80 miles au lieu des 60 autorisés, mieux vaut s’exciter un peu sur l’accélérateur si on ne veut pas se trouver en reste, ni à rendre des comptes à un gars en uniforme s’interrogeant sur votre lenteur suspecte.

Et puisqu’on en est aux plaisirs transgressifs, attardons-nous sur une coutume que j’ai trouvé particulièrement jouissive, même si j’ai parfois oublié d’en profiter : chez les Ricains, on grille allègrement les feux rouges. Du moins quand il s’agit de tourner à droite, non sans avoir préalablement vérifié qu’on ne va pas se faire emplafonner le truck par un de ses semblables, ou par un dix-huit roues. Une pratique des plus intelligentes étendue vers la gauche dans certains Etats -dont le Michigan- à condition bien sûr que la voie transversale soit en sens unique. Les Allemands ne s’y sont pas trompés, qui la reprennent sur certains carrefours, mais seulement lorsqu’une flèche verte autorise les conducteurs de la file située nach rechts à brûler allègrement le rote Hampel de service. 

Si les traversées d’intersection bénéficient donc d’autorisations tacites, la signalétique m’a pourtant semblé particulièrement explicite avec un certain penchant pour la littérature. Et si l’indication "bridge ices before road" (le pont gèle avant la route) ne m’a guère ému puisque nous étions en été, le doublement de certains pictogrammes par un panneau proposant leur traduction en langage écrit m’a parfois laissé un peu perplexe. Comme ces flèches signifiant clairement la fin d’une voie, mais accompagnées d’un mode d’emploi stipulant que "lorsque la file se termine, il faut s’intégrer à celle de droite", ou la pancarte "Do not pass" blanche et rectangulaire à laquelle répond systématiquement de l’autre coté de la voie son homologue jaune et triangulaire indiquant "No passing zone". Mais la signalisation la plus surprenante d’entre toutes, particulièrement fréquente en période de travaux estivaux, est sans aucun doute celle informant qu’il en coûtera 15.000 dollars d’amende et 5 ans de prison à qui -sans distinction- blesserait ou tuerait un ouvrier, faisant au passage mentir l’adage selon lequel la vie n’a pas de prix. 

Bon, je raille un peu mais le panneautage à l’américaine m’a semblé en général beaucoup plus clair que celui que l’on trouve chez nous, devenu parfois illisible à force d’accumulation. Il n’y a guère que la nuit où des bandes réfléchissante ou catadioptres ne feraient pas de mal sur le réseau secondaire, sur lequel j’en suis arrivé à douter des performances en éclairage du F150 que j’y conduisais, malgré une face avant pourtant généreusement garnie en optiques. Manque sans doute également un rappel sur le taux d’adhérence d’un sol mouillé, du moins si j’en crois ce trajet effectué sous une pluie torrentielle qui n’a pourtant pas semblé émouvoir des navetteurs roulant au même rythme que d’habitude. Mauvaise pioche pour le gars qui a froissé son (Chevrolet) Blazer, échoué en contrebas à gauche de l’autoroute, comme pour le propriétaire de la Nissan 370Z probablement coupé dans son élan par un train arrière ayant tenté -et réussi- à passer devant son homologue de l’avant, envoyant tout le monde dans le fossé de droite, pour le plus grand plaisir des redresseurs de tôle.

Pour autant, il n’y pas que les voitures mises au tas qui dérouillent à Detroit. Enfin, ce serait plutôt l’inverse, puisque l’hydroxyde ferrique y est une denrée abondante, particulièrement dans les soubassements, doublures d’aile et autres recoins de carrosserie où il se niche patiemment avant d’apparaître au grand jour, par perforation. Et comme pour les animaux malades de la peste de l’ami Jean, elles n’en meurent pas toutes, mais (presque) toutes en sont frappées, y compris les représentantes de marques importées dont on imagine pourtant qu’elles font référence en la matière, écartant d’emblée toute suspicion discriminatoire à l’égard des tôles locales. La faute en revient au chlorure de sodium dont on tartine semble-t-il abondamment l’asphalte michiganais lorsque viennent les frimas hivernaux. D’autant plus que l’absence de contrôle technique permet à certains véhicules en état de décomposition avancé de côtoyer les modèles les plus récents sur des routes elles-mêmes pas toujours très lisses (alerte euphémisme déclenchée).

Chers lecteurs, 
Cette série américaine touche à sa fin, et j’espère qu’elle aura donné à ceux d’entre vous qui ne s’y sont jamais rendus l’envie de visiter la Motor Town, alors que ceux qui la connaissent l’auront un tant soit peu reconnue. Quant à moi, il me faut avouer n’avoir pas été tout à fait honnête en début de chronique, quand j’indiquais en avoir fini avec mes pages d’écriture sur le sujet. Parce je crois bien que je viens de reprendre un billet pour la Capitale Mondiale de l’Automobile, au moment où celle-ci s’apprête à tenir salon…

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Réactions

Je suis étonné que les Ricains n’aient pas de passerelles ou souterrains pour la faune comme chez nous sur nos autoroutes

+15 ( fifteen ) Years de "Tôle" pas 5 !!
Pour le 1er GP de DETROIT en 1982 on roulait autour du Ren Center, du COBO Hall et de Joe Louis Arena. L'immeuble central était un Hôtel , WESTIN avec un bar tournant au dernier étage

En déviant légèrement je fût étonné cet été de ne pas nettoyer mon pare brise ….plus d’insectes? Donc plus d’oiseaux et plus d’éponges chez Total pour demoustiquer

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