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Chronique - 24/02/2022 - #Renault , #Tesla , #Alpine , #Ferrari , #Porsche

Pizza au ketchup

Par Jean-Philippe Thery

Pizza au ketchup
La pizza au kecthup, ce n’est pas ma tasse de thé…

Si vous avez des origines italiennes, je vous déconseillerais volontiers de lire cette chronique. Mais tel(le) que je vous connais, vous allez faire exactement le contraire…

Du ketchup sur la pizza.

Je sais, et ça me choque autant que vous. Dieu -qui comme chacun le sait est brésilien- m’est témoin de ce que j’aime les cariocas. Mais on a aussi nos sujets de désaccord, les habitants de Rio et moi, surtout quand certains d’entre eux déversent une dose de condiment apocryphe à base de tomate sur une pâte déjà garnie d’une authentique sauce du même fruit. Et non, je ne vous rappellerai pas où naquit mon épouse, pas plus que je ne vous révèlerai ce qu’elle fait régulièrement subir à d’innocentes Margheritas.

Si vous croyez que la pratique relève de l’anecdote, sachez alors qu’elle est suffisamment répandue pour avoir justifié il y a 3 ans la mise en ligne d’une enquête par un célèbre fabricant de la doucereuse substance, dont il ressortit que deux tiers des répondants l’approuvaient. Mais pour ma part, je ne me fiche pas mal de ce genre de votation électronique, et je considère que si jet de tomate il doit y avoir, ce n’est pas en provenance d’une bouteille renversée sur une pauvre pizza sans défense, mais à destination des auteurs d’une telle hérésie culinaire, mêmes si mes beaux principes s’arrêteront évidemment au seuil du domicile conjugal. Il n’en reste pas moins que vous ne m’ôterez pas de l’idée que certains ingrédients ne s’assortissent pas.

Vous comprendrez donc ma réaction au matin du 1er février dernier, en découvrant sur le site d’une certaine chaine-d’information-en-continu-point-com le titre annonçant l’interview du CEO d’Alpine, faisant allusion à un "mélange entre Ferrari et Tesla". J’ai évidemment vu rouge en voyant réapparaitre à 10.000 bornes de Rio la pizza scélérate version automobile, dans une sous-préfecture de la Seine Maritime disposant pourtant de ses propres spécialités, en sauce ou en marmite. Et sans doute aurais-je immédiatement fait parvenir à Laurent Rossi -puisque c’est de lui dont il s’agit- une photo encadrée de l’Alpine A310 V6 décorée aux couleurs du "poisson dieppois" pour qu’il l’accroche sur le mur de son bureau des Ulis (dont je sais pour l’avoir un temps fréquentée que la Zone Industrielle offre un nombre limité d’options gastronomiques), si je ne m’étais ravisé pour écouter ce qu’il avait à dire.

Et j’ai bien fait, puisque ça m’a permis de découvrir que notre homme n’était en fait pas l’auteur de la recette mentionnée par le journaliste l’interviewant, dont il ne reste pas moins que la confection lui a été confiée par le CEO de Renault lui-même, et qu’il lui a bien fallu expliquer. Ce qu’il a fait en indiquant qu’à l’instar de Ferrari, Alpine doit gagner le dimanche sur les pistes pour vendre le lundi des "voitures à très hautes performances dans le segment sport", comme celles produites par Tesla. Bon, j’aurais bien eu un ou deux trucs à dire sur cette double analogie, mais après m’être fait avoir par une accroche putaclic, j’ai préféré fact-checker en traquant la citation originelle de Luca de Meo.

C’est dans l’édition du 25 mars 2021 de "Die Welt" que je l’ai débusquée, laquelle mentionne très exactement un "mélange entre mini-Ferrari et mini-Tesla". Bon, tout de suite ça se la pète un peu moins. Et puis surtout, l’expression "mini-Ferrari" m’a rafraichi la mémoire, en me ramenant à ma propre chronique du 26 novembre 2020, dans laquelle j’ai rapporté la formule utilisée pour la première fois par Luca de Meo lors d’un évènement consacré quelques jours auparavant à la mobilité électrique. En revanche, j’ai bien loupé l’addition plus récente de Tesla, alors que j’habitais encore la ville où on massacre les pizzas et pas encore celle de la Curry-wurst (qu’on sert arrosée d’une généreuse dose de …devinez quoi).

Mais rien à faire : même tempéré d’une double-dose de "mini", j’ai encore du mal à avaler cette drôle de ripopée à base de petit constructeur italien de voitures sportives, et de startup américaine électrifiée, dont je ne suis pas certain qu’elle constitue ce que la fusion-food automobile puisse nous offrir de meilleur, mais qui nous rappelle en revanche que le positionnement est un art décidément bien difficile. Demandez-donc à Laurent Rossi, qui a dû se livrer en direct à l’exercice à propos des futurs modèles de la marque dont il a la garde. A commencer -en ordre inverse- par le "Crossover GT" prévu pour 2025, dont il nous précise qu’il s’agit d’"un coupé très sportif, SUV, très sportif (sic), 5 places, 4,60m", avant d’ajouter : "avec des ambitions d’aller chasser sur un territoire plus large que l’A110, tout en conservant l’ADN d’Alpine, la sportivité, l’agilité".

Puis de nous révéler celle qui viendra un an avant, autrement dit une "Sportive Compacte électrique", présentée comme "une sportive urbaine dans la plus grande tradition des R5 Turbo, des Clio RS, une 4 places citadine plus compacte, mais 4 places également, donc avec ça on élargira également aux citadins". Pas sûr que la mairesse de Paris ait assisté à l’intervention de Laurent Rossi, mais quelque chose me dit qu’elle et ses disciples n’apprécieront sans doute pas à sa juste mesure le concept d’une auto inspirée d’engins de rallye, à l’attaque dans des courbes limitées à 30 km/h, quand bien même propulsé par un flux d’électrons.

Bon, j’asticote, mais avouez tout de même que l’héritage d’Alpine n’est pas des plus simples à assumer, à tel point que je me suis toujours demandé si l’enseigne au A fléché ne constituait pas à elle seule un problème de positionnement autant qu’une marque automobile. Issue d’une modeste 4CV coursifiée comme Porsche naquit d’une humble Coccinelle, la marque française a passé son temps à courir après (ou devant) celle qu’elle considéra sa rivale, ce qui fonctionna plutôt pas mal sur les pistes mais beaucoup moins dans les showrooms, au point d’avoir provoqué sa disparition en 1995. A la différence bien sûr, que la marque de Stuttgart n’a eu cesse de se distancier de ses origines -même si elle y est revenue depuis 2012- là ou celle de Dieppe s’est constamment vu rappeler le nom de la maison-mère sans laquelle elle n’aurait sans doute pas survécu.

De ce point de vue, qu’on ne trouve aucune référence au constructeur allemand dans la bouche des patrons de Renault comme d’Alpine constitue une nouveauté intéressante, mais qui ne cache pas le fait que Porsche reste bien le modèle à suivre. Et non, je ne fais pas ici allusion aux Boxster ou 911, mais au principe économique consistant à financer des icônes par des "camionnettes", qui en dehors de leurs qualités propres, se vendent aussi parce qu’elles partagent l’écusson de celles dont elles assurent la survie, à moins que ce ne soit l’inverse.

Parce que le potentiel d’une "vraie Alpine", sportive légère construite avec un maximum d’éléments de grande série, nous est justement rappelé par Laurent Rossi au cours de son interview : "3.000 prises de commandes, 2.659 livraisons". Et s’il est dans son rôle lorsqu’il mentionne un triomphant "+74%", il sait très bien que -quelle que soit la période considérée- on ne fait pas vivre une marque avec des volumes dont on est amené à citer le chiffre des unités avec une telle précision. Et je laisse les grincheux qui ne manqueront pas d’évoquer -sans doute à raison- un réseau pas toujours partenaire, ou des ventes à l’export en deçà du potentiel de l’auto, multiplier les statistiques de ventes par deux ou trois pour constater par eux-mêmes que ça ne suffira toujours pas.

Alpine ne survivra pas en faisant seulement des Alpine, aussi réussie soit la dernière d’entre elles. Il lui faut désormais concocter une nouvelle recette pour développer une gamme, qui ne plaira pas forcément aux puristes ou exégètes de mon espèce, lesquels sont néanmoins en droit d’attendre une descendante à l’A110. C’est dire si Laurent Rossi et son équipe ont du pain sur la planche, et qu’ils ne peuvent se tromper ni sur les ingrédients, ni sur la façon de les associer.

Bon je vous laisse, c’est l’heure de la Curry-Wurst "mit pommes (frites)". Und mayo, bitte.

Réactions

A la lecture de cet article et de bien d'autres sur l'avenir improbable des marques de niche au moment du passage forcé au VE, je suis quand même surpris, comme le précise ici not'JP, que la seule et unique solution soit qu'il faille absolument vendre un SUV dans sa gamme pour faire vivre les danseuses de la marque qui ne rapportent rien. Le cerveau des mercateurs est-il en panne ou bien vont-ils de gré ou de force au plus facile ?
;0)
PS : Quitte à manger germain, au Curry wurst je préfère une bonne Bratwurst (saucisse blanche grillée) ou "Bratvourcht" comme on l'entend encore parfois dire à Metz devant chez Steinhoff place de la Rep' ! Et avec de la moutarde !

"comme on l'entend encore parfois dire à Metz devant chez Steinhoff place de la Rep' ! Et avec de la moutarde !"

C'est toute ma jeunesse ça Lucos :-P

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