18/09/2025
Six de der
Par Jean-Philippe Thery

Comme chacun le sait, Clio est la muse de l’histoire. Et ça tombe bien parce que la mienne est intimement liée à celle de la voiture du même nom…
Je suis un peu né avec la Clio.
Du moins professionnellement parlant. C’est un vendredi après-midi après trois mois d’école de vente qu’on m’a filé les clefs d’une voiture fraichement sortie d’usine, au 577 de l’Avenue Général Leclerc à Boulogne-Billancourt, à l’époque où les succursales ne se la jouaient pas encore "Renault Retail Group". En guise de rodage, j’effectuai le soir-même les 466 km qui me séparaient de la rue de Chavril à Sainte-Foy-lès-Lyon. Une entrée en matière annonciatrice de ce qui m’attendait dès le lundi suivant, puisque le secteur qu’on m’avait attribué s’étendait d’Ussel à Nice, sans passer par la case départ lyonnaise où je résidais pourtant. Pendant un an, le 1.9 diesel "F9Q" motorisant mon auto allait donc être mis à contribution pour le couvrir tant bien que mal, au rythme de messages nasillards émanant du haut-parleur de la "Cibi", sur lesquels je comptais pour me dire si la route devant moi était "propre".
Tous n’approuvaient cependant pas mon choix, puisque ma Clio me valut quelques regards de travers à la première réunion régionale, certains des commerciaux de la boite alléguant qu’elle pourrait donner de mauvaises idées au gestionnaire de parc dont ils étaient persuadés qu’il se ferait un malin plaisir de supprimer leur Renault 19. Pas de quoi cependant impressionner le célibataire de service, peu enclin à se balader dans une caisse affichant ostensiblement sa vocation familiale, d’autant plus que disposant de la même mécanique pour un poids supérieur, elle était forcément moins performante. C’est bien connu : plus rares sont les chevaux, plus on valorise les dixièmes de seconde en reprise.
En dépit de ses modestes 3,71 m hors tout, ma Clio ne me permit pas moins de vivre mes premiers émois d’automobiliste en voiture neuve, quand la plupart de ceux de mon âge devaient de contenter d’une occase ou d’un abonnement aux transports publics. En plus de me trimballer de concession en concession, elle m’emmena en vacances au Portugal, me valut ma première photo souvenir dédicacée par la maréchaussée et m’offrit un tête-à-queue sur route ouverte, quelque part sur la Départementale 8 entre Tarare et Amplepuis. Sans conséquence, puisque qu’à l’instar de François Delecour qui rata de peu la victoire au Monte-Carlo de la même année, je pouvais déclarer : "J’ai pas tapé". A son bord, j’ai mangé de mauvais sandwichs d’autoroute, écouté des CD, passé des coups de fil avec un combiné attaché au bout d’un câble ("Radiocom 2000, ne quittez pas…"), dormi quelquefois et fait des trucs qui ne vous regardent pas. Bref, j’ai accumulé des souvenirs.
La première voiture neuve que j’ai acquise était aussi une Clio. Etant "monté" au siège en région parisienne, j’avais alors gagné le privilège de choisir le modèle puisqu’il me fallut mettre la main à la poche, même si je bénéficiai du tarif collaborateurs. Avec son volant trois branches, ses sièges baquet, sa barre antiroulis renforcée, ses petits boudins taille basse montées sur jantes tôle "de style" blanc nacré et sa boite raccourcie pour mieux faire hurler les 80 chevaux du 1.4 Energy, la "S" offrait le goût du sport pour pas trop cher à ceux qui ne pouvaient s’offrir la 16S. Ou la RSi située entre les deux, dont l’exemplaire que j’empruntai plus tard à la Direction du Produit pour une mission en Allemagne me permit grâce aux 110 chevaux de son 1.8 F3P d’aller titiller les Mercos sur la file de gauche de l’autobahn.
Quelques années plus tard, la X65 remplaça la X57. Autrement dit la Clio II que mes collègues et moi-même fraichement débarqués au Brésil avions pour mission d’adapter et d’industrialiser localement. Les réunions projet en présence de Pierre Beuzit -alors Directeur de Gamme- consistaient généralement à retirer de l’auto ce qui pouvait raisonnement l’être afin de répondre aux impératifs économiques serrés d’une "populaire". Une catégorie automobile endémique caractérisée par sa motorisation 1.0 qu’il fallut développer sur la base du 1.2 D7F en lui coupant les bielles afin d’obtenir un D7D, suivi plus tard d’un D4D quand fut doublé sa dotation en soupapes. Une fois la Clio brésilienne lancée sur le marché, je récupérai comme voiture de fonction une version Si dotée des 110 "cavalos" du 1.6 16V K4M, histoire d’agacer le boss qui se trainait avec son Scénic 2.0 16V F4R dans la longue ligne droite menant de l’usine à Curitiba (FB se reconnaîtra).
Mais plus rapide encore était l’auto qui m’attendait à mon retour en France. Il faut dire que la Clio Super 1600 développée par Renault Sport Technologies était une bête de rallye développant le double de la puissance d’origine, soit 220 pur-sang. Il n’était évidemment pas question de la conduire, même si j’eu brièvement l’occasion de jouer le sac de sable dans le baquet passager, au côté de Simon Jean-Joseph dans le rôle du négociant en courbes sur un petit bout de spéciale montagnarde. En revanche, je me suis retrouvé un lundi matin avec une feuille A4 blanche sur mon bureau, avec pour mission de rédiger un cahier des charges pour la déco de sa carrosserie, laquelle devait être prête pour le démarrage du Championnat de France deux mois plus tard. Une histoire que je vous raconterai peut-être un jour en détails, qui aboutit à ce que crois pouvoir désigner comme la première voiture de compétition au monde 100% recouverte d’un film adhésif polymérisant, ou "covering" en français de tous les jours.
Rassurez-vous, vous n’aurez pas à supporter la liste de mes tribulations en Clio III, IV et V, puisque je me suis ensuite éloigné de Renault. Il n’empêche que je me suis vu rappeler tout et plus encore le 8 septembre dernier, sans doute par la grâce de Mnémosyne, déesse de la mémoire et mère de Clio qui se cachait probablement quelque part dans la salle à l’occasion du lancement de la sixième génération. Et comme -sauf erreur de ma part- la Clio fut précisément le premier modèle ayant intégré la numérotation générationnelle explicite dans son nom, je me suis également rendu compte que je totalise à ce jour cinq Clio de vie professionnelle. Le compte est bon, puisque j’ai démarré en 1991 et que la durée de vie d’une auto dans un segment majeur est généralement de sept ans.
Evidemment, les "haters" se sont manifestés en ligne pour critiquer la Clio VI sitôt ses photos publiées. Mais ne comptez pas sur moi pour me joindre à eux puisque je trouve la petite dernière plutôt réussie. C’est vrai, elle n’échappe pas à la complexité qui caractérise les productions récentes depuis plusieurs années, alimentée par une certaine profusion de détails maniérés. C’est vrai bis, elle exhibe certaines influences, comme celle de Mazda que je crois notamment distinguer dans le dessin de sa croupe vue du trois-quarts avant, une perception sans doute renforcée par le "Rouge absolu" de lancement proche du "Soul Red Crystal" de la marque japonaise. C’est encore vrai, elle paraît un peu SUVisée avec sa ceinture de caisse haute et ses passages de roue soulignés d’un "add-on" noir. Mais rien qui ne me paraisse anormal ni me rebute, ni qui m’ôte l’envie de la découvrir au plus vite "en tôle et en plastoc".
Vous en penserez ce que vous voulez, mais je suis d’autant plus heureux qu’elle me plaise que cette génération-là pourrait bien être la "six de der". Avec une fin de vie prévue vers 2033, point n’est besoin d’être devin pour imaginer que la dernière Clio -pas seulement en date- jouera les prolongations jusqu’à l’interdiction de vente des voitures neuves thermiques prévue pour 2035, catégorie à laquelle elle appartient même si abondamment hybridée. L’heure de la retraite aura alors évidemment sonné pour celle à laquelle je dois tant de tranches de vie. Et la mienne aussi sans doute.
Ou pas. Dans un monde d’incertitude grandissante, allez donc savoir le genre de réforme que l’avenir nous réserve, à la Clio et moi…

Moi je l'aime bien. Et vous? (Crédit: Renault)

Comme c'est désormais la norme, la Clio VI a la dalle (Crédit: Renault)

La Clio S. Le goût du sport pour pas cher (Crédit: Renault)

La Clio Super 1600. Chouette déco, n'est-ce pas ? (Crédit: Renault)