30/10/2025
Yin et Yang(wang)
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’une voiture rapide comme l’éclair. Un éclair de 1 200 Volts…
Quand j’étais môme, mes camarades et moi-même observions les compteurs de vitesse par la fenêtre conducteur.
Ce qui nous permettait d’en déduire immédiatement la vitesse de pointe de l’auto concernée, même si nous apprîmes plus tard que ce n’était évidemment pas si simple que ça. Mais à l’époque préhistorique -comprenez pré-Internet-, les sources d’information étaient aussi rares que coûteuses, surtout quand il fallait taper dans l’argent de poche du mois pour s’offrir une revue auto qui valait son pesant de Carambars. De plus, les fiches techniques fournies par les constructeurs n’étaient pas toutes des plus rigoureuses, la Vmax affichée pour certains de leurs modèles ayant sans doute été obtenue par vent arrière en faux-plat descente, et rétroviseurs repliés.
De nos jours, personne ne serait évidemment assez naïf pour faire confiance à l’ultime graduation des tachymètres, lesquels sont de toutes façons invisibles quand le contact est éteint et que les écrans TFT plongent dans le noir. Sans compter que ChatGPT est notre ami à tous, et qu’il fournit sur demande les performances chiffrées de n’importe quel véhicule de la planète et au-delà en moins de temps qu’il n’en faut à une supercar pour abattre le 0 à 100 km/h départ arrêté. En admettant bien sûr que le sujet suscite encore l’intérêt, puisque par les temps qui courent, le fâcheux qui l’évoquerait lors d’un dîner en ville se verrait probablement vite signaler que "la vitesse de pointe, c’est dépassé".
Bon, les têtes pensantes de Yangwang n’ont manifestement pas été mises au courant des dernières tendances, puisque leur "U9 Xtreme" a récemment affolé les panneaux électroniques de la piste d’essai située à Papenburg , dans le Nord-Ouest de l’Allemagne. Le 20 septembre dernier, le pilote Marc Basseng -presque régional de l’étape puisque né 300 km plus au sud à Engelkirschen- y emmenait la GT chinoise à 496,22 km/h, établissant un nouveau record pour une voiture de série en ajoutant près de 6 km/h au précédent établi par la Bugatti Chiron Super Sport en 2019.
Ce faisant, la nouvelle venue a effectué une irruption remarquée dans le club très fermé des micro-constructeurs qui se disputent le titre en question depuis ce dernier quart de siècle, avec -dans le désordre chronologique- des modèles aux noms aussi bizarres que SSC Ultimate Aero et Tuatara, Koenigsegg CCR et Agera RS, ou Henneyssey Venom. Sans oublier Bugatti qui pour répondre à cette définition, n’en dispose pas moins d’une histoire et d’une notoriété incomparable, constituant de surcroît le seul représentant d’un groupe industriel de taille mondiale. Quoiqu’il en soit, ce petit monde se voit aujourd’hui bousculé sans ménagement par un bolide en provenance de l’Empire du Milieu faisant preuve d’un sacré toupet avec son petit nom évoquant une ligne de métro allemande, propulsé par des moteurs de machine à laver et constituant à peine le deuxième modèle d’une marque qui n’existait pas encore il y a à peine 3 ans.
Je sais ce que certains d’entre vous vont me dire.
En premier lieu que derrière Yangwang, ne se cache même pas celui qui constitue désormais le cinquième groupe automobile mondial en nombre de voitures vendues. On se dit d’ailleurs non sans une certaine ironie que le nom étendu de BYD, autrement dit "Build your Dream" ou "Construis ton rêve" aurait été tout indiqué pour un engin en quête d’un record mondial de vitesse, ayant tout de même frôlé les 500 km/h. Mais rappelons néanmoins que le groupe né en 1995 comme fabricant de batteries n’a fait irruption dans l’industrie automobile qu’en 2003, et que la FD3 lancée il y a tout juste 20 ans qui constituait le premier modèle véritablement fait maison était en apparence un clone de la la Toyota Corolla "Brad Pitt" de 10e génération, ainsi surnommée en raison de la pub TV mettant en scène le célèbre acteur.
Par ailleurs, les pinailleurs de service ne manqueront pas de faire remarquer que la performance réalisée par la Yangwang U9 restera absente du Guiness des records, ce dernier ne prenant en considération pour ce genre que la vitesse moyenne réalisée entre deux passages réalisés en directions contraires en moins d’une heure, afin de neutraliser la possible influence du vent. Une critique certes légitime, mais dont je ne me souviens pas qu’elle a été formulée à l’encontre de la Bugatti Chiron dont les 490,484 km/h certes homologués par le très sérieux TUV Allemand n’ont eux aussi été mesurés que sur un seul run. Et puis vent ou pas, l’auto n’en n’a pas moins roulé à une vitesse à laquelle la base roulante et ses composants ont dû résister.
Si la prouesse accomplie par la U9 agace autant, c’est parce qu’elle est l’instrument d’une double domination. A commencer par celle de l’industrie automobile chinoise, dont il n’est pas certain que les Européens aient vraiment besoin de se la voir rappeler, face à la montée constante de la part de marché de ses constructeurs sur leurs marchés, alors que les usines construites localement démarrent à peine leur production. Par l’intermédiaire d’une marque nouvellement créée pour chasser sur les terres du segment Premium, BYD enfonce donc le clou en s’offrant un nouveau titre mondial après celui du premier constructeur de voitures électriques. En attendant sans doute encore mieux, du moins dans l’esprit de ses dirigeants.
Et bien sûr, la voiture électrique se rappelle à notre bon souvenir en un domaine dans lequel elle se distingua déjà dans les tous dernier mois du XIXe siècle, puisque c’est le 29 avril 1899 que la "Jamais Contente" -une espèce de cigare sur roues mû par des batteries- devint la première voiture de l’histoire à dépasser les 100 km/h. La recherche de la vitesse absolue constitue d’ailleurs à la fois une évidence et une absurdité pour une voiture électrique, puisque s’il est infiniment plus facile d’augmenter la puissance de sa "mécanique" que celle d’un moteur à combustion interne, la démarche apparaît pour le moins contradictoire avec la vocation de ce type d’auto supposée promouvoir un usage plus raisonnable de l’énergie. Un paradoxe d’ailleurs illustré par la U9 elle-même dont la puissance a été plus que doublée pour l’exemplaire du record qui affichant 3 000 ch, alors que la version "civile" doit se contenter "seulement" 1 300 ch. Cette dernière conserve néanmoins l’architecture de 1 200 Volts -une première mondiale- même si son compteur de vitesse ne va guère au-delà des 300 km/h.
Evidemment, on imagine que la prochaine étape devrait permettre de dépasser les 500 km/h. Et quelque chose me dit que les dirigeants de Yangwang y songent sérieusement, eux qui se sont empressés de ravir le meilleur temps au tour pour un modèle électrique sur le célèbre circuit du Nurbürgring, détenu jusqu’alors par la Xiaomi SU7 Ultra. A moins qu’un constructeur piqué au vif ne relève le défi de reprendre sa couronne à l’insolente Chinoise agitée, qui fait définitivement plus dans le Yang(wang) que dans le Yin…
La Bugatti Chiron Super Sport relèvera-t-elle le défi chinois ? (Crédit: Bugatti)
La Corolla "Brad Pitt", inspiration de la BYD FD3. Il y a à peine 20 ans... (Crédit: Toyota)
Déjà en 1899, la vitesse était électrique...
La U9 "street": 1 300 chevaux à peine... (Crédit: Yangwang)
