02/05/2024 - #Bmw , #Hyundai
Cable-car
Par Jean-Philippe Thery

Je me suis encore frotté à l’électrique. Et je n’arrive toujours pas à déterminer si ça me chatouille ou si ça me gratouille…
Je déteste les câbles.
A tel point que chez moi je les ai tous domestiqués au serflex, de l’écran d’ordinateur aux lampadaires halogènes, en passant par le combo TV-chaîne Hi-fi. Inutile de chercher, aucun n’a échappé à l’enroulement en cercles soigneusement calibrés, ni à la contrainte par collier de serrage nylon interposé. Il n’y a guère que celui de l’aspirateur qui cherche désespérément à rentrer dans son logement quand je l’en extirpe lors de la séance de ménage hebdomadaire, m’obligeant à effectuer un nœud provisoire pour le maintenir en place. Et même si je me doute bien que le cliquet d’arrêt de l’enrouleur est cassé, rien ne m’ôtera de l’idée qu’il a la pétoche. D’ailleurs, il est bien connu que les reptiles fuient, et les câbles ne peuvent cacher leur lien de parenté avec la gente serpentine.
Mais celui que j’ai vainement tenté de maintenir à distance il y a quelques jours, en l’extirpant de son emplacement dédié dans le coffre de la voiture avait sans aucun doute décidé de venger ses semblables ondulants. Il était pesant, d’un diamètre et d’un format inconnus à mon domicile, et tentait sournoisement de s’approcher de mes vêtements -de couleur claire, évidemment- avec l’intention évidente de les maculer. Une perspective d’autant plus déplaisante que l’épaisse couche noire formant une gaine de crasse témoignait de façon irréfutable de séjours répétés en divers caniveaux.
Le pire, c’est que cette opération de chargement-là était totalement inutile. Avec le SOC ("state of Charge") à environ 65%, la batterie était en effet très loin d’être en manque, et comme je n’avais guère prévu que de circuler en ville le lendemain, l’accouplement du SUV électrique avec le chargeur se proposant de lui délivrer sa dose d’alternatif était totalement superfétatoire. Mais en dehors de la place de stationnement vacante à quelques mètres à peine de l’entrée de mon immeuble dont il m’était ainsi permis de profiter, il me fallait aussi impérativement vivre l’expérience d’une connexion avec le réseau public de chargement berlinois dans la perspective d’une certaine chronique. Les sacrifices auxquels on se livre pour informer ses lecteurs…
Ça m’a coûté 19,11 euros, dont 7,14 euros de stationnement, puisque j’ai laissé l’auto parquée durant 357 minutes au-delà des 240 minutes de tolérance, alors que la batterie débordait d’électrons par la goulotte de la trappe à chargement. Pour le reste, je n’ai pas tout compris entre le dépôt de garantie de 50 euros remboursés 7 jours après (de peur sans doute que je n’emporte la borne pour l’accrocher aux murs de mon appartement) et la prise dont je suis à peu-près certain qu’elle n’était pas retenue par le chargeur pour avoir réussi à la désengager alors que la distribution de kW avait commencé. Ayant dû répéter l’intégralité de la procédure de paiement, j’ai donc renoncé à une nouvelle vérification en pariant sur l’honnêteté de mon prochain, et surtout sur son manque d’intérêt pour les cordons électriques.
Je l’ai surnommé "la cabine de téléphérique" en raison de son format, et l’"armoire électrique", en raison …de son format (et de ses motorisations, cela va sans dire). Mais ça, c’était surtout pour agacer ma douce moitié qui a adoré "notre" BMW iX1 les quelques jours durant lesquels nous en avons disposé. D’abord parce que c’est un SUV et qu’elle aime prendre de la hauteur en voiture, surtout que du siège passager qu’elle occupe en permanence, elle se fiche pas mal des considérations dynamiques propres au conducteur. Mais aussi en raison de la bande son, ce qui prouve son éclectisme puisqu’elle apprécie tout autant les grognements et borborygmes de notre quatre cylindres turbo habituel que le sifflement très Sci-Fi accompagnant les montées en régime des deux moteurs. Et avant que vous ne songiez à froncer les sourcils, sachez que c’est Hans Zimmer en personne qui l’a signée, le compositeur oscarisé de musique non pas de chambre mais de films, au rang desquels Interstellar, Dune et Inception pour rester dans le registre de l’anticipation. Néanmoins -et que le Meister me pardonne- ce qu’a surtout kiffé Madame Thery, ce sont les accélérations.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes que la plupart des EVangélistes mettent en avant les sensations provoquées au démarrage par le couple immédiatement disponible des propulseurs électriques, brandies telles un drapeau comme preuve irréfutable de la supériorité des VE sur leurs équivalents à motorisation thermique. A bord de l’un d’entre eux, scotcher la pédale du potentiomètre au surtapis se traduit en effet par une grosse dépense d’énergie, peu compatible avec le discours de sobriété qu’ils sont supposés promouvoir, surtout s’agissant de mettre en mouvement la masse rendue conséquente par une batterie dont une bonne partie des kWh qu’elle emmène sert à se mouvoir elle-même.
Mais laissons les arguties écolos (ou pas) de côté pour reconnaître que le Grand Prix des feux rouges en version électrifiée, c’est tout de même rigolo. Surtout qu’avec la réponse instantanée de l’accélérateur, le délai de réaction se limite à celui du conducteur, le temps que la lumière verte s’imprimant sur sa rétine se transforme en mouvement du pied droit. Le résultat est plutôt sympa, permettant de laisser sur place n’importe quelle thermique dont l’équipage mobile et la distribution peinent à concurrencer l’instantanéité du couple rotor-stator, mais dont les tenants du zéro émissions se gardent bien de commenter le caractère addictif, sans doute pour mieux en savourer secrètement les grisants effets. Je doute que quiconque ait songé à financer une étude "premiers mètres" sur les comportements comparés des conducteurs de thermiques et de VE au démarrage, mais si je m’en tiens à l’échantillon pas forcément représentatif de ma petite personne, il n’est pas sûr que la protection de la planète s’en trouve grandie, à moins bien sûr que les hurluberlus de mon genre ne finissent par se calmer à l’usage.
L’embêtant, c’est qu’on est vite hors cadre légal en ville passés les quelques dixièmes ne secondes initiaux, mais surtout que malgré -ou peut-être à cause de- la poussée continue, ça devient progressivement moins intéressant sur route ouverte. En l’absence de la dimension dramatique générée par les vibrations et le feulement de la mécanique comme des ruptures de charge interrompant les montées en régime au passage des rapports, l’expérience paraît aseptisée, d’une efficacité dénouée d’émotion. C’est sans doute pour ça que je me suis surpris à moduler l’écrasement de la pédale, non seulement pour retirer un peu de brutalité aux accélérations, mais aussi sans doute pour redessiner une courbe de couple tout aussi progressive qu’imaginaire. Je n’ai d’ailleurs jamais ressenti en ville le besoin de déclencher le boost mis à disposition par l’unique palette située à gauche du volant, alors qu’il s’en est fallu de peu pour que je n’émette des "vroum-vroum" verbaux en faisant mine de changer de vitesse. Ne rigolez pas, c’est exactement ce que propose Hyundai avec sa Ioniq 5 N simulant le comportement d’un moteur essence.
Pour le reste, que puis-je vous raconter de ces 10 jours en iX1 ? Sans doute que celui qui est devenu le plus compact des modèles électriques de la marque depuis le retrait de la i3 est une excellente voiture, et que je pourrais tout à fait rouler en électrique au quotidien, même si mes goût personnels me porteraient plutôt vers le Gran Coupé i4, n’en déplaise à Madame. Même si je devais abandonner la rame de tramway du M10 pour une "cable-car", ce ne sont en effet pas les 5,5 km séparant mon domicile du bureau qui me causeraient des "anxiétés d’autonomie", puisque ne consommant guère que 2% des capacités de la batterie, d’autant plus que le parking souterrain à destination est amplement équipé en chargeurs.
Restent les weekends et périodes de vacances, obligeant selon les distances à planifier les indispensables arrêts câblés, exercice auquel j’admets n’avoir pas encore pris goût. Mais l’honnêteté m’oblige tout de même à reconnaître que si je n’ai pas encore effectué ma transition, c’est sans doute principalement par goût. Parce que si les accélérations de mon auto thermique ne présentent pas la même soudaineté lors des départs arrêtés que les voitures branchées, je ne suis malgré tout pas encore rassasié de la théâtralité orchestrée du fond de ses entrailles de sa mécanique.
Bon, je vous laisse, mon ordinateur venant de passer en mode éco. Je crois bien que j’ai oublié de le brancher…

L’armoire électrique…une excellente voiture (Crédit : BMW)

Moi, c’est plutôt la i4 (Crédit : BMW)

Sur les photos de presse, les câbles sont toujours propres… (Crédit : BMW)
Pour qui sont ces serpents…