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16/10/2025

Hypster-car

Par Jean-Philippe Thery

Hypster-car
Etes-vous prêt pour la Hypster Car ? (Crédit: Renault Group)

Aujourd’hui, je m’intéresse à une voiture qui apporte moins de réponses qu’elle ne soulève de questions. Mais les bonnes…

"T’écris sur quoi cette semaine ?"

Je ne me fais guère d’illusion sur cet intérêt soudain de ma chère et tendre pour ma prochaine chronique. En ce jeudi soir, son interrogation sonne surtout comme un rappel à peine voilé à mes obligations d’écriture hebdomadaires me consommant selon elle un temps excessif, surtout celui du weekend dont elle considère qu’il lui appartient. Faisant mine de ne pas comprendre qu’elle me suggère de m’y mettre au plus vite, je feins l’intérêt – le sien- en lui présentant l’écran de mon ordinateur sur lequel s’affiche l’objet dont je vais vous entretenir dans les paragraphes qui viennent.

"Feio, porém bonitinho. Um pug.”

Bien que particulièrement mélodieux, l’accent carioca ne peut masquer totalement la sévérité de la sentence que délivre Madame -originaire de Rio- à propos du Dacia Hipster : "Moche mais mignon, comme un carlin." Ce qui ne l’empêche pas de consacrer une bonne dizaine de minutes aux photos du site média de la marque, que je fais défiler sous ses yeux inhabituellement attentifs. Je la soupçonne d’apprécier le dernier concept-car de la marque plus qu’elle ne veut bien l’admettre, même si je crois comprendre ce qu’elle a essayé de me dire. Que s’il ne joue évidemment pas dans le registre de la "belle voiture", l’objet exprime un je ne sais quoi d’appropriable donnant des envies d’adoption. Un peu comme certaines races de chien de compagnie…

Solidement campé sur des roues jetées aux quatre coins reléguant les porte-à-faux au strict minimum, arborant fièrement son nom de famille estampillé à répétition, le Hipster assume d’ailleurs sa plastique avec assurance. Son plastique aussi, dont la carrosserie teintée dans la masse est intégralement constituée, en dehors d’un bout du masque avant et des pièces rapportées en bas de portière. Un physique que les commentateurs de réseaux sociaux pourtant guère portés sur la mansuétude semblent pour la plupart apprécier, partageant des réactions allant du simple éloge à la tirade dithyrambique. Il n’y a pas à dire : pour un tout petit coche, le Hipster fait mouche.

Il n’empêche : j’ai beau la trouver chouette, cette voiture-là me pose surtout toute une série de questions.

En l’absence de référence dimensionnelle, j’y ai d’ailleurs vu dans un premier temps une espèce de Citroën Ami à empattement long, dotée de 5 portes et 4 places. Et si le communiqué de presse se montre peu dissert sur les caractéristiques techniques de l’engin, c’est implicitement qu’il démonte cette première hypothèse, puisque mentionnant un poids inférieur de 20% à celui de la Spring, soit environ 800 kg. Bien au-dessus donc, du poids à vide maxi de 425 et 450 kg définissant les quadricycles L6e et L7e, même si celui-ci n’inclut pas le pack de batterie pour les électriques. Pour autant, sa longueur de 3,0 m pour une largeur de 1,55 m associées à un prix public cible de 13.000 euros font sérieusement douter de la conformité du Hipster aux normes de choc auxquelles sont soumis les modèles commercialisés en Europe. Un mystère laissant à penser que celui-ci constituerait en fait une espèce de manifeste en faveur de l’équivalent occidental d’une Kei-car, espèce endémique au Japon contrainte en dimensions et cylindrée, mais obéissant à des normes moins sévères que les voitures de taille "normale".

Un lobbying en forme de prototype donc, visant probablement à montrer aux décideurs de l’UE ce que permettrait un carcan législatif moins rigide. Et de fait, le Hipster est tout de même sacrément léger pour une voiture électrique, et même pour une voiture tout court, ce qui ne va évidemment pas sans certains sacrifices. A commencer par l’autonomie que Dacia nous livre sous forme d’équation, ayant sans doute glissé une calculette dans les "goodies" destinés aux journalistes ayant été conviés à sa présentation. Sachant que le Hipster est supposé répondre aux besoins des 94% d’automobiliste parcourant au plus 40 km par jour, et qu’il devra pour se faire être rechargé deux fois pas semaine, on estime donc que ses batteries chargées à bloc permettent de rouler jusqu’à 150 km. Itou pour les performances, en phase (c’est le cas de le dire) avec une vocation qui se veut clairement urbaine, et que laissent deviner des pneumatiques ne dissimulant pas leur étroitesse. Des caractéristiques tout à fait acceptables pour une deuxième voiture, mais qui feraient sans doute réfléchir à deux fois les foyers mono-motorisés, considérant plutôt l’usage maxi que moyen d’une auto au moment d’en décider l’achat.

Des clients potentiels qui devront également adhérer aux manifestations visibles du "design to cost" ayant présidé à sa conception. Même si la composante design n’est précisément jamais sacrifiée dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de la Twingo première du nom, quand la tôle peinte visible dans l’habitacle ou l’économie de longueur de câble permise par l’antenne radio montée sur le rétroviseur conducteur devenaient autant d’éléments de style. Sur le Hipster, ce sont les têtes d’écrou ou les vérins de la vitre faisant office de demi-hayon qui se montrent sans complexe, alors que des sangles de cartable d’écolier recyclées jouent aux poignées de porte quand elles ne retiennent pas la partie inférieure de la porte de coffre. A l’intérieur, les sièges et appuie-têtes ultrafins reprennent le tissu semi-transparent des chaises de bureau réservées au middle-management en open space, alors que les feux arrière utilisent la lunette arrière en guise de cabochon. Une innovation particulièrement astucieuse dont j’espère qu’elle vaudra à son auteur une confortable prime de fin d’année si elle passe le cap de la production en série.

Si Dacia -dont le catalogue affiche un Duster et un Bigster- se gardera bien de le mentionner, beaucoup ont vu dans un Hipster aux dimensions et poids contraints un pied de nez à ces SUVs qu’on aime tant détester, catégorie à laquelle il emprunte pourtant nombre d’éléments de langage stylistique. A commencer par une architecture haute permettant de verticaliser passagers et bagages en réduisant d’autant sa longueur, alors que le pavillon et le trois-quarts arrière ne peuvent nier les emprunts visuels au Land Rover Defender, même si le designer responsable s’en défendra s’en doute. Ajoutez à cela les passages de roues rapportés et des pneus cramponnés, et vous obtenez le premier SUV anti-SUV de l’histoire de l’automobile, à mi-chemin entre l’oxymoron visuel et la dissonance cognitive motorisée.

Un véritable paradoxe sur roue donc, dont on est d’autant plus en droit de se demander à qui il s’adresse qu’avec un nom pareil, on s’attend à voir en descendre des barbus à lunettes surépaisses, portant Chinos skinny et chemises de bucheron canadien, accompagnés de leur compagne arborant pull vintage oversize sur Jean Mom et tennis Van et chapeau 70’s. La littérature de Dacia est pourtant étonnamment muette sur le sujet, autant que les visuels du dossier de presse dont l’élément humain est quasiment absent. Il y a certes la conductrice qui apparaît quelques secondes en vidéo au volant, laquelle s’efforce néanmoins de façon particulièrement convaincante de ne pas exprimer le moindre sentiment. Quant aux deux représentants de la gent masculine, il jouent les sous-second rôles d’arrière-plan, l’un d’entre eux n’ayant d’autre fonction que d’ouvrir au véhicule la porte d’accès à une salle de présentation étonnement vide. De toute évidence, le marketing du constructeur roumain a visiblement choisi de ne pas se prendre la tête avec une segmentation clientèle, en nous laissant imaginer la hype qui va avec.

Il n’en reste pas moins que vous avez été nombreux à la demander, et que Dacia l’a faite. Une "Hypster Car" qui n’est pas pour moi -ce qui est plutôt bon signe pour elle- aux antipodes de ces autos lourdes et complexes qu’il est devenu de bon ton de dénoncer, dont on est obligé d’admettre qu’ils ont sacrément réussi leur coup. Mais la seule vraie question qui compte maintenant, c’est de savoir si ceux qui l’ont réclamée à corps et à cri joindront le geste à la parole.

En attendant, je crois bien que je viens de terminer cette chronique…

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