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Analyse - 12/10/2023 - #Renault , #Nissan , #Porsche , #Chevrolet

Enormes, les normes !

Par Jean-Philippe Thery

Enormes, les normes !
Laguna BTCC 1998, la voiture que se sent pousser les ailes…

Aujourd’hui, je prends la mesure d’un phénomène qui prend une ampleur préoccupante. Du moins j’essaye…

Il y a une vingtaine d’années, j’ai eu l’occasion d’examiner de très près la Renault Laguna qui avait participé en 1998 au British Touring Car Championship (BTCC).
Une auto de course absolument magnifique dans sa livrée vert et or "Nescafé" même si contrairement à sa devancière qui avait remporté le titre l’année précédente, la réussite sportive ne fut pas au rendez-vous. Mais je m’en fichais pas mal, observant plutôt avec intérêt à quel point cette "silhouette" était éloignée de la paisible berline du bon père de famille dont elle assurait pourtant la promotion, selon le principe voulant qu’on gagne le dimanche pour vendre le lundi ("win on Sunday, sell on Monday"). Et comme moi aussi, j’aime bien me prendre pour un pilote, je n’hésitai pas à encastrer mon auguste séant dans l’unique siège baquet situé au ras du plancher et à hauteur du pied milieu (ou colonne B comme on dit de l’autre côte de la manche). C’est qu’en sport auto, on est vite à la masse quand celle-ci n’est pas correctement positionnée. 
Mais c’est à l’extérieur qu’un détail retint particulièrement mon attention, tant il témoignait de l’état d’esprit dans lequel on conçoit les "racers".

Comme toutes les machines de sa catégorie, la Laguna BTCC était en effet astreinte à des caractéristiques dimensionnelles certes plus généreuses que celles du modèle d’origine (sauf pour la hauteur), mais le prenant néanmoins comme référence. Et ça incluait évidemment les voies, limitant d’autant la largeur des boudins évidemment priés de rester logés dans les passages de roue. Une règle a priori intangible, mais pas pour l’ingénieux ingénieur de service jamais à court de stratagème, lequel consistait en l’occurrence en des ailes avant articulées par le haut afin que les roues directrices puissent les pousser légèrement lors des braquages, et revenant en position dans les lignes droites grâce à un discret ressort de rappel. Si la lettre était respectée, il en allait évidemment tout autrement de l’esprit, mais ainsi va la vie dans le monde de la compétition automobile, où surfer sur la crête des alinéas de règlement fait partie du jeu. Voilà en tout cas le genre de truc qu’on ne se permettrait jamais dans la voiture de série.

Quoique.

Quand le gouvernement brésilien résolut il y a une vingtaine d’années de réactiver une norme dormante pénalisant les véhicules de plus de 100 chevaux par un "IPI" (Impôt sur les Produits Industriels) plus élevé, j’ai suggéré de ne rien toucher aux 110 chevaux du 1.6 16 soupapes "K4M" dont nous préparions l’introduction sur la Clio de deuxième génération, et d’homologuer un boitier électronique identique à celui d’origine mais portant une référence différente. Voilà indiquai-je, qui permettrait d’annoncer à peu de frais la puissance fatidique, puisque la procédure d’homologation relevait alors du déclaratif. Ma proposition n’eut pas l´heur de plaire et fut immédiatement rejetée.
Comme certains ne manqueront sûrement pas de vilipender mon esprit retors, j’invoquerai pour ma défense l’article d’un magazine spécialisé, lequel avait trouvé sur un moteur de la concurrence passé au banc une bonne vingtaine de chevaux supplémentaires par rapport à ceux annoncés sur la fiche technique. Et bien que l’affaire eût occupé la page de couv avec un titre pour le moins racoleur, les autorités n’y avaient pas trouvé grand-chose à redire. Quoiqu’il en soit, l’ingénierie moteur appelée à la rescousse au dernier moment n'eut pas d’autre solution que d’étrangler l’échappement du K4M pour lui faire rendre quelques équidés vapeur, ce qui eut pour effet indésirable d’augmenter la consommation de carburant. Mais comme le législateur revint finalement sur la mesure annoncée avant le lancement de la nouvelle Clio, celle-ci se trimbala durant plusieurs années un moteur moins performant et plus gourmand que nécessaire.

Tout ça pour vous dire que dans l’automobile comme en d’autres domaines, les normes produisent leur lot de bizarreries. C’est comme ça qu’on trouve de fausses ouvertures sur certains immeubles haussmanniens, murées pour échapper à l’impôt sur les fenêtre institué par le Directoire, ou qu’au Brésil, un panonceau recommande près des portes d’ascenseur de s’assurer que la cabine est bien à l’étage souhaité avant d’y pénétrer. Et pour revenir à notre sujet de prédilection, ça nous donne des trucs mignons comme les feux littéralement posés sur le capot de l’Austin Healey Sprite afin d’être à hauteur règlementaire, lui donnant un air de batracien sympathique qui lui valut son surnom de "Frogeye".

Parfois, ça tourne au ridicule comme ces mentions qu’on trouve dans les manuels de bord, à l’instar de celui de la Saab 9.3 de 2009 indiquant de n’attacher qu’un seul passager par ceinture de sécurité, alors que les propriétaires de Nissan Juke ont été un temps sommés de ne pas opérer la commande d’ouverture/fermeture des portières à distance à bord d’un avion, et ceux de la Chevrolet Bolt de ne pas sortir de leur voiture quand le "système de propulsion" était en train d’opérer. Il y a encore les trucs franchement bizarres comme les Reliant britanniques à trois roues, là encore pour des raisons fiscales, ou les voitures bridées à 30 km/h en Suède, permettant aux ados titulaires d’un permis tracteur de conduire n’importe quel modèle, y compris une Porsche Cayenne.

Une seule chronique ne suffirait évidemment pas à recenser ce qu’on pourra considérer comme de joyeuses anomalies même s’il existe toujours une explication, qu’il s’agisse de la permanence de règles historiques -comme c’est le cas de l’exemple suédois, la règle ayant été édictée à une époque où l’on manquait de bras dans les fermes- ou tout simplement de la sagacité de ceux qui aiment à contourner les règles en se glissant dans les interstices que comportent forcément les textes légaux. Il faut dire qu’à l’instar de la Communauté européenne, on ne se rappelle guère les normes que lorsqu’elles nous ennuient, en oubliant soigneusement les bienfaits qu’elles apportent dans la normalité du quotidien.

Sans mesures contraignantes, il y a en effet fort à parier que nos autos ne seraient pas au niveau de sécurité -tant active que passive- que nous considérons aujourd’hui comme un acquis, et qu’airbags et ABS figureraient encore dans la liste des options, en admettant qu’on ait pris soin de les inventer. De la même manière, nos sorties d’échappement exhaleraient des trucs probablement beaucoup plus nocifs que ce qu’elles rejettent aujourd’hui, du moins s’agissant des autos qui ont encore du pot. Quant aux piétons, ils ne peuvent que se féliciter de ce que les modèles le plus récents soient conçus pour les renverser avec un minimum de délicatesse. 

Mais ce plaidoyer en faveur des normes incomprises ne franchira pas les lignes du précédent paragraphe, tant il arrive à ces dernières de se montrer incompréhensibles. L’actualité récente nous en fournit de trop nombreux exemples, entre un barème supposé écologique mais tournant à l’usine à gaz nocifs, surtout pour des modèles disparus des catalogues pour se retrouver parfois taxés de plusieurs fois leur valeur d’origine, alors que l’aventurier moderne pourra bientôt se lancer dans l’inimaginable défi consistant à traverser toutes les ZFE de France et de Navarre à bord d’une auto d’occasion, sans jamais se prendre une seule prune. 

Pire encore, il est des normes qui nous rappellent à quel point l’enfer est pavé de bonnes intentions, et dont l’excès va évidemment à l’encontre du but recherché. Je ne sais pas vous, mais je fais une indigestion de ces cookies qui interrompent systématiquement mes lectures en ligne, alors que tout le monde sait bien que les envahissantes "mentions légales" rédigées en Arial 0,5 ne sont guère lues (et relues) que par ceux qui les rédigent. Dans le même ordre d’idée, les contraintes de plus en plus lourdes en matière de sécurité ont eu raison des petites citadines du segment A, privant une part de la clientèle de l’accès à une auto neuve. Mais avant que ne l’emporte le pragmatisme qui consisterait à desévériser les normes de sécurité pour les entrées de gammes, on entendra hurler les âmes bien pensantes préférant couper tout ce qui dépasse et condamner les petits budgets à l’occasion plutôt que de participer à la diffusion de technologies bienfaitrices, quand bien même elles seraient un peu en-dessous de modèles plus onéreux.

Mais je vois poindre avec inquiétude une nouvelle catégorie, largement favorisée par le pouvoir de diffusion des réseaux sociaux, et dont je me demande combien de temps encore elles resteront virtuelles : celle des normes autoproclamées. Le principe au demeurant simple, consiste à ériger en règle ses choix -ou possibilités- personnels dans le but avoué de sauver la planète ou préserver l’humanité. Tel "consultant en stratégie bas carbone" nous explique ainsi qu’il faut limiter l’autonomie des véhicules électriques à 350 km maxi, considérant que "parcourir 230 km à 110 km/h" en passant de 80% à 10% d’état de charge est bien suffisant. Un autre, plus radical, assène qu’"il est temps de mettre fin à l’automobile comme marqueur social, et d’obliger à la pratique du car sharing ou à l’utilisation de moyens de transports moins polluants".

J’ai parfois l’impression que certains sont fatigués de la démocratie, et que les libertés dont nous jouissons leur donnent le vertige. Toujours est-il que je tiens à disposition de ces âmes charitables ayant décidé de s’occuper de mon bien-être sans me consulter, une liste de pays où ils pourront exercer à leur guise leurs penchants autocratiques, même si je ne suis pas certain qu’on les y laissera les répandre sur les réseaux sociaux. Et bien sûr, une photo de la Laguna BTCC.
Enormes, les normes.

Réactions

Cher Jean-Philippe, les Rosbifs ne parlent pas de "colonne B" mais de pilier B, qu'ils prononcent bi pilar, of course.

A propos de normes (et de rationalisation des coûts) ...
J'ai cru comprendre que Stellantis s'apprêtait à arrêter la commercialisation en France, quand ce n'est pas tout bonnement la production, de deux modèles "phares" de Fiat, à savoir la 500 (thermique et pas forcément rose poudré) et la Panda .. La 500 X fait partie aussi de la "charette" , nueva Fiat 600 E oblige...
Pour les deux premiers désignés, le segment "A" continue de "s'etioler".
Ni bon pour l'accès au marché du véhicule neuf au plus grand nombre, ni bon pour les concessionnaires Fiat dont le catalogue se réduit de plus en plus à "une pot de chagrin".
"Reusement" ... reste le marché (de nous niche) du Vo avec le spider 124 (Abarth ou pas)
;0)

@ Jean Philippe
.... En tant qu'amateur de "maquettes", je présume que vous avez connaissance de la commercialisation en cours, par Ottomobiles, en tous cas pour les membres du club pour l'instant, d'une excellente reproduction au 1/18 de la Laguna BTCC dont la livrée était effectivement fort réussi ...
... Frédérick GUILLIER appréciera sans doute cette "pub" indirecte (?). Pour l'adresse écrire à la rédaction qui transmettra, je l'espère ...
;0))
Les plus "geek" se souviendront d'un jeu vidéo (désolé, j'ai oublié le nom) qui reprenait les autos de ce championnat de l'année 1998 dont la fameuse Laguna ...

TOCA touring car peut être ?

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