11/09/2025 - #Bmw , #Mclaren , #Nissan , #Porsche , #Ford
GGT-R
Par Jean-Philippe Thery

Aujourd’hui, je vous parle de trois lettres magiques. Mais qui disparaissent sur la ligne d’horizon…
J’ai découvert la Skyline avant tout le monde.
D’accord, j’exagère sans doute un peu. Il n’empêche qu’à l’époque jurassique pré-Internet, nous n’étions pas très nombreux à savoir ce qui se vendait sur les marchés lointains, particulièrement s’agissant de l’archipel nippon (le premier qui dit "ni mauvais" sort). D’autant plus qu’à l’époque, les modèles qui en parvenaient étaient soumis à quota, ne devant pas dépasser 3% des volumes d’immatriculations de voitures neuves, limitation qui incita évidemment les constructeurs japonais à construire des usines en Europe. Toute ressemblance avec la situation que connaît de nos jours l’industrie automobile européenne impliquant certain grand pays asiatique ne serait évidemment pas fortuite.
Mais revenons à la Skyline, que j’ai connue ainsi qu’un certain nombre d’autres modèles exotiques grâce à mon ami Philippe. Fallait-il que celui-ci voulût me faire plaisir pour se taper la visite de concessions automobiles tokyoïtes à l’occasion de l’un de ses voyages d’affaires, et se coltiner le poids du papier dans la valise de retour. C’est ainsi que ma collec de catalogues s’enrichit de spécimens constellés d’idéogrammes abscons, autrement plus excitants que les brochures habituelles collectées en périphérie lyonnaise. Que l’homme ait roulé en Mercedes 300SL (oui, LA 300 SL) ou en Porsche 944 laisse à penser qu’il y prit un certain plaisir. Mais qu’il n’en soit pas moins une fois de plus remercié d’où qu’il nous observe, puisque Philippe a eu la mauvaise idée de nous quitter il y a quelques mois.
Tout ça se passait bien avant que la déclinaison ultra-sportive d’une berline somme toute aussi banale que familiale ne soit rendue planétairement célèbre dans les années 90 par un certain jeu vidéo. Quasi-éponymie oblige, la GT-R se devait bien évidemment d’y figurer puisque la première partie de son nom signifie "Gran Turismo", auquel le suffixe "R" ajoutait une saveur "Racing" plus que légitime eut égard à son palmarès en compétition. Si ce n’est qu’à l’époque des catalogues, les déclinaisons sportives de la R31 antérieure -correspondant à la septième génération du modèle- s’intitulaient GTS, GTS-Turbo, GTS-X, GTS-R ou GTS-Turbo. Entre autres, puisqu’il y en avait d’autres dont je vous épargnerai la fastidieuse énumération.
Il faut donc croire qu’on ne chômait pas au service appellations des bureaux de Ginza où siégeait la marque avant de délaisser le très chic quartier de la capitale pour s’expatrier en périphérie à Yokohama. Mais dans cette salade alphabétique, on ignora le logo GTR apparu sur la troisième et repris sur la quatrième itération de la Skyline, modèle né en 1957 sous l’égide de Prince avant que la marque ne soit rachetée par Nissan. Après un hiatus de 1973 à 1989, celui-ci réapparut néanmoins avec la troisième génération de la GTR dérivée de la huitième Skyline, autrement dit la R32 qui fit précisément le bonheur des accros de videogames. Et je m’en tiendrai là sur les détails chronologiques, histoire de conserver la moitié de ceux qui n’ont pas encore abandonné la lecture de cette chronique.
En ce qui me concerne, il me fallut attendre la R34 lancée en 1998 pour voir enfin une GT-R en métal et en plastique. Et ce n’était pas du toc, comme en témoignent tous les exemplaires que j’ai photographiés dans les rues de Tokyo à l’occasion de mon premier voyage au Japon, principalement dans le "Bayside Blue" qui constituait la couleur emblématique de la BNR34, comme la désignent les geeks qui parlent en code. En revanche, la 25 GT-T que j’ai brièvement eu l’occasion d’essayer sur une espèce de mini-circuit à l’extérieur d’une concession de la marque s’affichait en "Lighting Yellow". Je crois bien que mon passager de gauche -rien à voir avec LFI mais plutôt avec le "Right-Hand Drive" ou RHD- n’apprécia semble-t-il que modérément ma façon de solliciter les 280 chevaux du 6 en ligne Turbo. C’est du moins ce que me laisse à penser le "what about braking" qu’il prononça à l’abord d’une courbe, auquel je répondis à la remise des gaz en faisant mine de n’avoir pas compris : "Oh, the brakes are very good indeed".
Ce fut évidemment trop court, même si cette petite sœur de la GTR n’en n’était pas une. Prononcées sans autre forme de précision, ces trois lettres-là sont devenues au fil du temps synonyme du modèle iconique de la marque japonaise, alors que d’autres y ont pourtant eu recours. On songe évidemment aux fabuleuses McLaren F1 et P1 dans leur versions plus hardcore, principe repris par Mercedes pour ses AMG GT R et GT R Pro, alors que la BMW M3 GTR réservait l’usage de son V8 à la compétition. Et si les plus pointus d’entre vous mentionneront également la très britannique Ultima GTR -une espèce de Supercar en kit- je ne suis pas sûr qu’ils se rappelleront les Holden Monaro GTR-X et Ford Falcon GTR venues du pays "down under" des hommes au travail (private allusion réservée aux kids des Eighties).
En 2007, "la GT-R" affirma davantage encore son identité avec la R35, qui mit fin aux années de vie commune avec la Skyline en devenant un modèle à part entière. Il me fallut jouer dans coudes au milieu d’une foule aussi curieuse que compacte pour l’apercevoir sous toutes les soudures au Salon de Genève 2008 où elle fit sa première apparition européenne. Si je m’enthousiasmai alors pour ses hanches suggestives et son postérieur propulseur aux quatre feux ronds caractéristiques du modèle depuis l’éphémère KPGC110 de 1972, je me souviens également avoir eu le sentiment bizarre que l’avant et l’arrière étaient l’œuvre de stylistes différents, lesquels ne devaient pas déjeuner souvent ensemble à la cantoche du Nissan Technical Center d’Atsugi.
Toute impression de discrépance avait néanmoins disparu en 2020 quand j’eu enfin l’opportunité d’en attraper le volant, en version Nismo s’il vous plaît. Une prise en main dont je vous ai raconté dans "Godzilla a un boss…et des fans" les incroyables sensations que procure un engin propulsé par 600 équidés-vapeur respirant à pleins poumons, doublée d’une expérience terrifiante. En songeant au document plastifié dans mon portefeuille, mais surtout au coup de fil que je tenais absolument à éviter, si d’aventure il m’eût fallu expliquer à ceux qui me l’avaient aimablement confiée que j’avais laissé mon empreinte sur le carbone dont elle était abondamment constituée.
Je la restituai donc en état de dissonance cognitive, à la fois déprimé par le retour à une vie motorisée banale et soulagé de ne point l’avoir égratignée. Une ambivalence de sentiments qui m’habite de nouveau aujourd’hui, alors qu’après 18 ans de bons et loyaux services rapides, la R35 nous la joue "GGTR", ou "Gone GTR". Un communiqué de presse nous a en effet confirmé ce qu’on savait sans vraiment se résoudre à l’admettre : la R35 ne tombera plus des chaines de Tochigi, et les "Takumis", ces artisans d’élite qui montaient intégralement et signaient le fabuleux V6 biturbo VR30DETT devront sans doute s’habituer à l’accomplissement de tâches moins nobles.
La future R36 devrait néanmoins nous consoler, puisqu’on peut faire confiance aux ingénieurs de la marque pour nous pondre une nouvelle GT-R digne de son logo. Mais il nous faudra attendre plusieurs années, le temps semble-t-il que les batteries solides qui doivent équiper une version électrique soient au point, à moins qu’il ne soit question d’hybridation. Sans compter que la situation difficile dans laquelle se trouve la marque aujourd’hui pourrait allonger le délai.
Quoiqu’il en soit, j’espère bien mettre la main sur un catalogue lorsqu’elle sera disponible. Et surtout sur son volant...

Les adieux de Tochigi (Crédit: Nissan)

La fameuse "Hakosuka", première de la lignée (Crédit: Tokumeigakarinoaoshima)

GTS-R, pas GTR: La R31 de mes catalogues (Crédit: 天然ガス)

Mc Laren F1 GTR, ici en version long tail... (Crédit: big-ashb)