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Analyse - 21/04/2022 - #Renault , #Porsche

Graham et Zuza

Par Jean-Philippe Thery

Graham et Zuza
Zuza, la Porsche brésilienne en Allemagne (Crédit : Mauricio Augusto Marx)

Aujourd’hui, il est question d’une voiture qui reste au garage. Et de deux autres qui font exactement l’inverse.

Ça commence par un type qui enfile son blouson en courant, histoire de sortir au plus vite de chez lui, mais qui s’arrête à la porte du garage à contempler amoureusement sa voiture. Il s’en approche et caresse le flanc de la carrosserie avant de s’échapper…à vélo. Puis ce sont deux adolescentes pressées de partir en soirée. Une main se saisit des clefs sur la commode de l’entrée, qu’on retrouve aussitôt dans un habitacle accueillant, ne demandant qu’à protéger les deux amies d’une pluie battante. Mais c’est un parapluie qu’elle agrippe, avant de refermer la portière : elles sont parties à pied. Il y a enfin cette mère de famille dans la précipitation des préparatifs matinaux. Les enfants déjà prêts l’attendent dehors, à côté de l’auto, qui restera cependant sur place. Mine dépitée des mômes que les parents enjoignent de marcher.

Ça vous dit sûrement quelque chose si vous avez vu la récente campagne de Renault vantant sur petit écran les "jusqu’à 40% d’économie de carburant" dont est capable le Captur E-Tech hybride. Sans que l’on sache toutefois si on doit cette prouesse aux ingénieurs motoristes du constructeur, ou à l’inactivité imposée à cette pauvre auto par des propriétaires peu aimants. "J’ai voulu une approche audacieuse, dans l’air du temps", catéchise Arnauld Belloni -Directeur Marketing Monde- à propos de la triple parabole pondue par Publicis, avant de renchérir : "Pour la première fois, nous proposons de manière proactive à nos clients de ne pas utiliser leur voiture tout le temps, un choix inédit dans l’industrie automobile." Et moi qui croyait que le seul truc qu’on achète pour ne surtout pas s’en servir était un contrat d’assurance. Attention Arnaud, parce qu’à mener la logique du message à son terme, la cible CSP+-audacieuse-et-dans-l’air-du-temps-dans-sa-maison-d’architecte-en-proche-banlieue pourrait bien se passer complètement de voiture, en dehors bien sûr de celle du week-end qu’elle ira chercher chez un loueur.

Les injonctions bienpensantes ne me choquent pas plus que ça quand elles proviennent des autorités compétentes, même si je n’obtempère pas systématiquement aux "manger bouger" ou autres "cinq fruits et légumes par jour". Mais je me dis qu’à force de répétition, celles-ci finissent vraisemblablement par produire leur petit effet, même si à les écouter je me retrouve parfois en pleine dissonance cognitive. Quid en effet des chips de pomme avalées pour mon petit 11 heures, qui semblent obéir à la seconde, mais contrevenir à la recommandation de ne pas grignoter entre les repas ? Heureusement, point de nœud au cerveau pour ce que j’attends d’un constructeur automobile : qu’il nous fasse de belles et bonnes autos qui donnent envie de les acheter, et -tenez-vous bien- de les conduire.

Mais comme je n’ai aucune envie de passer les 1.300 mots qui me restent à rédiger pour boucler cette chronique à maugréer, laissez-moi plutôt vous parler de deux autos qui ne sont pas du genre à rester au garage.
San José de Gualeguaychú est une petite ville de l’Etat d’"Entre Ríos", située à quelques kilomètres de la frontière avec l’Uruguay. Et c’est par elle que sont arrivés Candelaria et Hermann Zapp il y a environ un mois, de retour en Argentine après une très longue absence. Le nouveau millénaire comptait à peine 15 jours quand ils sont partis 22 ans plus tôt, et eux 6 ans de mariage. Ils menaient alors une vie sans doute très semblable à celle des protagonistes de la pub Captur, mais une maison à eux dans la banlieue de Buenos-Aires et de bons jobs n’ont semble-t-il pas su les retenir, pour ne pas dire que c’est précisément ce qui a nourri leur envie d’ailleurs. "Avant d’avoir des enfants" se disaient-ils alors, pensant rentrer au bout de 6 mois. Et des enfants, ils en ont eu, mais Pampa, Telue, Paloma et Wallaby sont nés dans quatre pays différents.

Contrairement aux gens de la pub, c’est en voiture qu’ils sont partis, au volant de Graham. Bon, le p’tit nom, c’est moi qui en ai décidé pour les besoins de la narration, puisque je n’en ai trouvé aucune trace dans leurs récits pour désigner la Graham Paige 610 Sedan de 1928 qui les a emmenés. Offerte par un généreux donateur en piteux état, cette représentante d’une marque américaine n’ayant vécu que de 1927 à 1940 constituait un choix pour le moins improbable en vue de faire le tour de la planète. La brave vétérane ne manquant d’ailleurs pas de tester la motivation des aventuriers trentenaires quand se rompit un rayon de l’une de ses belles roues en bois après seulement 50 km. Une anecdote qui les fait aujourd’hui sourire, eux qui ont depuis parcouru à son bord pas moins de 362.000 km à travers 102 pays, périple au cours duquel l’altière berline consomma huit jeux de pneus et subit deux opérations à culasse ouverte, alors que Candelaria et Hermann n’avaient pas la moindre notion de mécanique avant de partir. Au passage, elle se mua également en limousine quand il fallut la couper en deux pour la rallonger et adjoindre une banquette à l’arrivée du quatrième intégrant de la famille. Comme vous l’imaginez volontiers, il faudrait un livre pour raconter tout ce que la famille Zapp a vécu au long cours de ces années. Et ça tombe bien puisqu’il l’ont écrit : vous trouverez facilement sa version française intitulée "Attrape ton rêve" en googlant. 

A la différence de Graham, Zuza ne m’a pas attendu pour être baptisé, même si Mauricio aura bien du mal à vous expliquer l’origine d’un surnom dont il assure pourtant qu’il s’est imposé de lui-même. Le "veio Zuza", ou "vieux Zuza", comme il le répète volontiers sur un mode argotique qui pourra sembler irrévérencieux s’agissant d’une des toutes premières Porsche, mais dont on devine à la façon qu’il a de le prononcer à quel point il est chargé d’affect. Mauricio était d’ailleurs bien loin d’en imaginer la valeur tant historique que marchande quand son père l’enjoignit de choisir une des vieilles bagnoles qu’il gardait dans un hangar. Lui qui voulait juste une voiture neuve à l’approche de ses 18 ans jeta son dévolu sur la Porsche 356 orange remisée au fond du bâtiment, pour la simple et bonne raison qu’elle lui plaisait.

Ce n’est donc que plus tard que Mauricio comprit le caractère exceptionnel de son auto. Zuza est comme Graham un exemplaire de la première heure de la marque qu’il représente, puisqu’à peine 1.656 Porsche furent construites jusqu’à fin 1951, année de sa naissance. Il appartient donc à ce qu’on a dénommé rétrospectivement la génération des modèles "pré-A", une plaquette située sur la feuillure de la portière conducteur attestant encore de sa construction par les ateliers de la carrosserie Reutter, à l’époque où Porsche en louait les locaux, quand ses propres installations étaient encore occupées par les forces américaines. 

Depuis le début, Mauricio est donc habitué à traiter Zuza certes avec respect, mais sans cérémonie. C’est donc avec un moteur de Coccinelle et une carrosserie adhésivée façon course que ces deux-là entamèrent leur relation, avant que le cabrio ne reçoivent une décoration bleue et orange inspirée des couleurs légendaires de la Gulf Oil. Après une quinzaine d’années d’inactivité, le fidèle compagnon motorisé de Mauricio hérita d’un 1.600 de la marque réalésé à 1.750 cm³, et arbore aujourd’hui fièrement sa tôle mise à nue exposant les cicatrices et traces de corrosion qui témoignent de son histoire. Et quand il s’installe à bord, notre homme n’hésite pas à enjamber la portière en marchant sur l’assise du siège baquet en cuir.

La tenue pour le moins informelle du vieux Zuza ne correspond sans doute pas exactement à ce qu’on imagine des voitures exposées dans le bâtiment à l’architecture futuriste du Musée Porsche de Stuttgart. Et pourtant, devinez où les responsables de l’établissement l’ont prié de stationner lors d’une visite sur le lieu dont il est originaire? C’est très exactement sur le parvis de la Porscheplatz 1, en évidence devant l’entrée du musée, que Porsche a rendu un hommage certes statique, mais commémorant une voiture qui roule, qui vient d’ailleurs de s’offrir une tournée européenne pour fêter ses 70 ans. 

Difficile d’imaginer deux automobiles plus dissemblables que Graham et Zuza, même si toutes deux ont en commun de compter parmi les premières construites par leurs marques respectives. Mais ce qu’elles partagent surtout, c’est l’effet qu’elles semblent produire sur ceux et celles dont elles croisent la route. "La voiture qui dessine les sourires", fut ainsi surnommée la Graham Paige des Zapp lors de son passage en Colombie. "Elle n’a ni les meilleurs sièges, ni la meilleure suspension et encore moins l’air conditionné […] elle n’a pas l’air pratique, mais elle a été merveilleuse, elle a ouvert des portes", renchérit Hermann. Des réactions que connaît bien Mauricio, et dans lesquelles il distingue une véritable vocation. "Je crois que celui qui roule en voiture ancienne a une fonction sociale extrêmement importante", explique-t-il, avant d’ajouter : "Vous ne pouvez pas juste la conduire et fermer les vitres. Il vous faut porter attention à celui qui la regarde […] vous êtes obligé de donner l’année de l’auto, d’expliquer si elle est authentique ou pas, parce si quelqu’un pose ces questions, c’est qu’il aime ce qu’il voit, et qu’il vous sourit."

Evidemment, toutes les voitures ne connaissent pas -loin s’en faut- le destin de Graham ou de Zuza. Mais celles qui ont traversé nos vies n’ont-elles pas elles aussi ce petit goût de nos aventures personnelles, sur le chemin prometteur des vacances, de retour de weekend quand vous prend le bourdon du dimanche soir, ou tout simplement lors de nos trajets quotidiens ? Et vous conviendrez que nul n’est besoin d’être un passionné de la chose automobile pour se remémorer les bons -et parfois mauvais- moments passés avec "Titine". 

Voyez-vous Arnaud, une voiture c’est fait pour rouler. Et ceux qui les construisent n’ont ni à en avoir honte, ni à participer aux campagnes insidieuses de culpabilisation dont les automobilistes sont régulièrement la cible. Surtout quand les ingénieurs qui les conçoivent, sans doute bien plus écolos que bien des donneurs de leçon, se sont employés et s’emploient encore à réduire drastiquement les émissions polluantes et réchauffantes.
Alors peut-être qu’un Captur hybride, ça ne sollicite pas autant l’imagination qu’une américaine des roaring twenties ou une sportive de l’immédiat après-guerre. Mais pour ceux qui passeront du temps sur la banquette arrière comme pour qui les y installeront, les trajets effectués à bord feront partie de leur histoire.
Et qui sait comment ils en parleront dans 20, 30 ans ou plus ?

Réactions

Encore une fois d'accord avec vous Jean-Philippe !...
...et il est dommage que nous ne puissions pas ajouter d'images à nos commentaires. J'aurais partagé avec vous la sortie de notre ancienne dimanche dernier, sous le beau soleil bourguignon !

Bonne journée !

Au prix des nouvelles nous allons garder nos anciennes))

... Trop rigolo (et forcément bien vu ... ) ce billet "réprobateur" sur la récente pub de Renault inspirée par Arnaud Belloni, donc.
... Faudrait lui dire de prendre garde que " son " Captur (le bien nommé ! ) ne soit pas atteint du syndrome de Stockholm !
;0)

Je ne sais pas jusqu'où ira le Législateur pour nous culpabiliser d'aimer les bagnoles. Je finis par me demander si les "gens" de chez Renault aiment leurs voitures.

Il y a surtout en ce moment dans la pub une très mauvaise génération de "créatifs" (et oui on les appelle comme cela) à l'humour potache niveau pre-ado qui nous balancent des daubes publicitaires désolantes.
On a même l'impression de les entendre ricaner bêtement quand on regarde leurs œuvres déplorables..
C'est un métier..
;0)

Oui … Disons que les créatifs de Publicis ont repris quelque chose qui est dans l'air du temps et cela a plu, manifestement, à "leur client", en l'occurrence, Arnaud Belloni … Sans ramener tout au wokisme, cette idée de laisser la voiture, aussi "verte" soit elle, au garage pour prendre le vélo c'est le genre de truc qui doit plaire ces temps-ci … On supposera qu'elle vise la cible potentielle du Captur "hybrid" … Actif, trentenaire, branchouille et plutôt aisé si l'on en juge par la maison d'architecte (?) … et si, par inadvertance, certains "jeunes" boomers aisés et un peu "adulescents" se reconnaissent dans la pub, çà ne peut pas faire de mal au "bizness" (?).
Le clin d'œil de la pub Renault est tellement "planet friendly" et c'est même pas de l'humour au deuxième degré tant il sent fort l'injonction "civique" ...

Tant que j'y suis … Je me souviens avoir lu dans une plaquette d'ARVAL il y a quelques années, que la meilleure idée en matière de sécurité routière pour la gestion de flottes, c'était encore de limiter les déplacements des collaborateurs en voiture ou quelque chose de ce genre … J'avoue que de la part d'un opérateur censé "vendre" de la location longue durée automobile,
donc a priori du km voiture, le concept m'avait semblé un tantinet "gonflé" … Mais j'avoue être un peu "primaire" !
Au passage, cette approche est totalement transposable, aujourd'hui, à la gestion de la limitation des rejets de CO2, notamment, pour avoir de jolis bilans RSE …
Vous même, Lucos, régulièrement et bien avant la période de la Covid, avez vanté ici (et pas que) les mérites des systèmes de visio conférence évitant de coûteux (et inutiles) déplacements non sans un certain à propos .. Donc, il n'est pas forcement nécessaire de tirer sur les "pianistes"* que sont ces pôvres "créatifs"(?).
;0)
* "Ne dites pas à ma mère que je suis dans la pub, elle me croit pianiste dans un bordel"
(Jacques Séguéla)

@Adeairix 23h36
Quand vous écrivez "tant il sent fort l'injonction "civique" ..." je dirais même que ça pue, ça daube, ça schlingue, ça chlipotte un max.
Les amoureux de belles bagnoles sont maintenant des parias.
Toutezétousse en Traban, mais électrique évidemment.
Ca me gonfle un max pour parler français.
Vive le piston comme dirait Alain. Je me suis fait un petit récap, il y en a 32 dans le foyer. (XK8, Sunbird -déjà 16- 3008, 108, RAV4, R850R, R1150R, Solex (il est petit le piston, c'est un pistonnet), ahahahahaha. Bon, la 108 est à vendre (-3) et la 1150 (-2) sera remplacée par un mono 300 (+1) de chez Honda.
J'avais un seul engin électrique, je viens de me le faire voler. C'est un signe.
Comme Macron avec les non-vaccinés, je les emmerde (pour rester dans l'olfactif).
ZFE : zone fumeurs enragés.

Zone Fumeurs Enragés ....Ouarf !
... moins de pistons mais, pas étonnamment, sur la même ligne ..."rezistance" ...ah mince encore un "truc" électrique, décidément !
;0))

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