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11/12/2025

Leasing social, tu perds ton sang froid

Par Jean-Philippe Thery

Leasing social, tu perds ton sang froid
La Lada, inspiration du futur "Super Leasing Social"?

Aujourd’hui, je vous parle de voitures vraiment pas chères. Enfin, pas pour tout le monde…

Je suis très régulièrement arrosé par les publications de Léo Larivière.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’avec le "Fleet Electrification Advocacy Manager at Transport & Environment", la vie n’est pas un long fleuve tranquille pour l’industrie automobile. Il ne se passe en effet guère une semaine sans que cette dernière ne se voit reprocher en ligne la "pétro-vassalisation" à laquelle nous a soumis une voiture thermique qu’elle défend à tout crin, les capots qui prennent de la hauteur -sujet illustré par l’image d’un des très nombreux pick-up Ram qui pullulent chez nous- ou encore la "Suvisation /Premiumisation" qu’elle promeut sur l’autel de marges jugées indécentes. Il faut dire que sous une appellation plus neutre qu’un PH7 suisse, qu’on imagine plus volontiers désigner je ne sais quel sous-secrétariat administratif qu’une association militante, Transport & Environnement ("T&E" pour les intimes) pratique un lobbying actif qui a érigé le néologisme anti-bagnole en forme d’art.

A lire ses diatribes sans complaisance à l’égard des constructeurs, il serait facile de conclure que Léo est sans doute plus (voie) ferrée que partisan de la mobilité individuelle motorisée. Mais ce serait ignorer que notre homme prend très au sérieux son rôle de promoteur de la voiture électrique. J’en veux pour preuve son dernier post en date qui propose d’ajouter pas moins d’un million d’entre elles au nombre des automobiles en circulation dans notre beau pays. Ce qui signifie que le "parc social de la mobilité électrique" qu’il appelle de ses vœux représente un nombre de véhicules 20 fois supérieur à chacune des deux vagues du "leasing social" que T&E a soutenu dès son lancement en 2024. 

Bon d’accord, je plaide coupable par anticipation pour usage délibéré de sophisme, puisque j’imagine que selon Léo, l’idée consiste surtout à remplacer un tas de vieilleries thermiques priées d’aller se faire compacter par un broyeur. Même si, en fonction des avantages concédés, la proposition pourrait s’avérer suffisamment alléchante pour convaincre un nombre significatif d’usagers des transports publics d’endosser le statut de primo-accédant à l’automobile en neuf. Peu importe néanmoins quand l’objectif consiste sans doute à augmenter le mix de voitures électriques afin de consolider une victoire sans cesse réaffirmée sur leur équivalentes à combustion interne. 

Ou pas. Parce que s’il a fallu interrompre avant terme la première édition du Leasing Social en raison de l’afflux des candidats, il semblerait que ceux-ci se montrent un peu moins motivés par l’opération en cours, qui peine à boucler l’objectif annoncé. La faute à des pouvoirs publics qui font dans la pingrerie en ayant resserré les cordons de la bourse, puisque l’aide maximale consentie est passée de 13.000 à 7.000 maigres euros par voiture. Pas de quoi néanmoins décourager T&E dans la perspective de ce qu’on peut qualifier de "Super Leasing Social", grâce à certaines des cinq mesures d’accompagnement proposées. Par exemple en inscrivant le dispositif dans la durée -jusqu’à 12 ans- ou en offrant des contrats plus longs, permettant de baisser les loyers, même si aucune durée précise n’est stipulée pour cette dernière. Mais si je ne suis pas un spécialiste des LLD/LOA, j’imagine qu’une formule correctement rédigée sur Excel nous permettra bientôt de disposer d’une voiture neuve à batteries pour 49 euros par mois sur 7 ans…

Pour autant, c’est une autre proposition qui a particulièrement retenu mon attention portant sur de petites voitures électriques produites en France, via une plateforme dédiée codéveloppée avec constructeurs, équipementiers et fabricants de batteries, que j’ai pris soin de relire une bonne dizaine de fois, tant elle m’a fait froncer les sourcils. Parce que si j’ai bien compris, il s’agit ni plus ni moins que de mettre dans la même salle les représentants de Renault, Peugeot et Citroën ainsi que Michelin, Faurecia, Valeo, ACC et Verkor, et de ne les libérer que lorsqu’ils auront rendu la copie d’un projet de voiture locale et low-cost en partant d’une feuille blanche. 

Peut-être par nostalgie de ce que ses membres n’ont pas connu, j’ai l’impression que T&E cherche à faire renaître le Gosplan, un quart de siècle après sa disparition. C’est en effet en 1991 que l’organisme central de planification soviétique a disparu, emportant avec lui les plans quinquennaux dont il avait la charge. Y compris le treizième et dernier d’entre eux, qui ne dura guère qu’un an en raison de la chute d’un mur dont les fondations -principalement idéologiques- s’étaient avérées moins solides que prévu. De bons plans qui promettaient pourtant cinq ans de bonheur à l’économie du pays en fixant précisément des objectifs de production pour tous les secteurs de l’industrie. Dans l’automobile, ça nous a donné la "Jigouli" ou VAZ-2101, plus connue dans nos contrées capitalistes sous la dénomination de Lada, version camarade de la Fiat 124. Une recette qui permettrait semble-t-il chez nous aussi, de définir par avance le nombre de voitures à produire dans des usines dont le nom deviendrait logo de marque (VAZ signifiait Volzhskiy Avtomobil’nyi Zavod ou "Usine Automobile de la Volga"), destinées à des clients dont on aurait oublié de vérifier s’ils en veulent. Un léger oubli toutefois pris en compte par T&E qui prévoit "des achats publics massifs et mutualisés, pour réduire les coûts et offrir une visibilité industrielle".

Après vérification et sauf erreur de ma part, il n’existe nulle part ailleurs qu’en France de dispositif équivalent. Même à Dubaï, dont le gouvernement se montre pourtant particulièrement généreux entre l’exemption totale d’impôts, le financement intégral de l’éducation et des soins et même l’attribution d’un logement pour les jeunes marriés, les citoyens émiratis sont priés de financer eux-mêmes l’acquisition de leur(s) véhicule(s). Mais peut-être les têtes pensantes de T&E devraient-elles songer à installer une succursale au Moyen-Orient.

Quoiqu’il en soit, je m’étonne de la relative apathie que suscite un dispositif consistant à financer à coups de milliers d’euros l’usage d’une voiture neuve par une partie de la population, grâce auquel Léo a beau jeu d’affirmer que "quand l’électrique est accessible, les Français répondent présents". Tu m’étonnes ! Avec une Renault 5 E-tech à 120 euros/mois, une Jeep à 179 euros ou encore une Alfa Romeo à 199 euros, il y aurait de quoi convaincre les plus récalcitrants à l’électrification, si seulement ces derniers répondaient aux critères requis. La même apathie sans doute, qui anesthésiait les rares réactions de surprise quand il était encore possible de recevoir un chèque pour l’achat d’une voiture électrique au montant non plafonné, et qui persiste aujourd’hui puisqu’il est semble-t-il normal de distribuer l’argent public aux acquéreurs d’une auto de 47.000 euros (et même 60.000 pour une prime ne dépassant pas 2.000 euros).

Pendant ce temps, ceux à qui s’adresse -du moins en principe- le leasing social, roulent dans des autos hors d’âge à quelques milliers d’euros -sortis de leur poche ceux-là- ayant de moins en moins droit de cité dans les villes depuis que se mettent en place les Zones à Faibles Emissions. Des automobilistes dont je me demande s’ils ont véritablement besoin de financer à fonds perdus une voiture neuve qui pourrait s’avérer problématique lors de sa restitution, pour peu qu’on leur présente une facture de plusieurs centaines d’euros pour frais de remise en état, plutôt que de les laisser simplement circuler au volant de l’auto dont ils disposent. 

Bref, il y a de mon point de vue bien longtemps que le leasing social a perdu son sang-froid, pour ainsi dire dès sa conception, tant son principe lui-même me paraît erroné. Et d’imaginer comme T&E de le booster à coups de milliards d’euros puisés dans les fonds publics prouve selon moi que si en France on ne veut plus de pétrole, on n’a pas forcément que de bonnes idées.

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