25/09/2025 - #Bmw , #Chrysler , #Hyundai , #Jaguar , #Nissan , #Opel , #Ford , #Chevrolet , #Stellantis
Dans t’EREV !
Par Jean-Philippe Thery

Aujourd’hui, je vous parle de technologies qui révolutionnèrent ou vont révolutionner l’automobile ! Ou pas…
Quand j’étais petit, l’an 2000 ressemblait à une promesse.
Sur mon ardoise d’écolier, j’avais calculé que j’aurai alors atteint l’âge canonique de 32 ans. Dix moins huit égalent deux et je retiens un, dix moins sept…au changement de siècle, c’était sûr, les voitures voleraient. Un thème récurrent au cinéma, avant même que je ne sois né, comme dans "Fantomas se déchaîne" lorsque le malfaiteur facétieux et masqué s’enfuyait dans les airs à bord d’une DS ailée pourvue d’un empennage. J’avais déjà 6 ans quelques années plus tard, lorsque dans une séquence assez ressemblante, l’infâme Francisco Scaramanga échappait -provisoirement- à James Bond dans "L’homme au pistolet d’or", aux commandes d’une AMC Matador Coupe à réaction. Et il y a longtemps que je fréquentais les salles obscures lorsque Luc Besson imagina en 1995 des embouteillages en trois dimensions dans d’inquiétantes mégapoles verticalisées.
Un quart de siècle plus tard, on n’est pas près de voir nos autos survoler un tarmac dont elles semblent destinées à rester dépendantes, quand même les taxis aériens ont du mal à décoller. Au XXIe siècle, n’est donc pas Harry Potter ou Emmett Brown qui veut, puisque ceux qui se sont risqués à de telles réalisations n’ont à de très rares exceptions près jamais dépassé le stade du prototype, lesquels ont surtout confirmé qu’en accouplant une automobile à un aéronef, on obtient une machine qui vole à peu près aussi mal qu’elle roule. La morale de l’histoire, c’est que l’avenir d’une invention n’est pas lié aux attentes qu’elles suscitent et que les futurologues sont souvent condamnés à rater les plus importantes d’entre elles. La voiture volante restera donc probablement un objet de fiction, alors que son homologue connectée qu’on n’a pas vu venir a déjà intégré notre quotidien.
Même clouée au sol, l’automobile ne s’est pourtant pas privée d’emprunter à l’univers aérien. Pour faire joli avec des ailerons empruntés au Lockheed P38-Lightning, chasseur au caractéristique fuselage double, ou avec des feux arrière en forme de tuyère, comme chez Ford avec le concept-car FX-Atmos de 1964 ou sur la Cortina de série. Mais aussi pour accroitre la puissance des moteurs sans augmenter la cylindrée grâce à la suralimentation, initialement destinée à compenser une densité de l’air diminuant avec l’altitude. Plus récemment, on songe au "fly-by-wire" qui mit à la retraite le bon vieux câble d’accélérateur, ou à l’affichage "tête haute" grâce auquel le conducteur garde sa dignité et les yeux sur la route. Certains pourtant, sont allés beaucoup plus loin en imaginant des autos propulsées à l’horizontales par des turbines…
Chrysler, par exemple, y crut dur comme fer construisant en 1963 pas moins de 55 exemplaires de la "Turbine Car". Dotée d’une très élégante carrosserie signée Ghia, à la conception aussi originale que son nom était banal, celle-ci bénéficiait pour son groupe motopropulseur de l’expertise maison acquise au cours de collaborations avec l’industrie aéronautique dès la fin des années 30. Capable d’ingurgiter toutes sortes de carburant comme de la téquila ou de l`huile d’arachide, la turbine "A831" qui l’équipait développait 130 chevaux à 36.000 tr/min, pour un régime maxi de 60.000 tr/min. Pas moins inhabituel était le programme d’essai qui vit 50 d’entre elles passer dans les mains de 203 clients, avec plus d’un million de miles en conditions réelles d’utilisation. Las ! un coût de fabrication astronomique -somme toute logique pour une fusée routière- ainsi que des performances pas vraiment ébouriffantes pour une conso élevée eurent raison de la Turbine Car, et Chrysler débrancha logiquement les bougies du projet, envoyant les belles autos se faire cafuter, ne sauvegardant que six d’entre elles.
On vit bien des autos à turbine en compétition, notamment aux 24 heures du Mans avec la Rover-BRM et la superbe Howmet TX qui utilisait -évidemment- des feux arrière de Cortina. Mais de série, il ne fut plus question, même si GM consacra plus discrètement que Chrysler plus d’une trentaine d’années au sujet, entre quatre générations de concept-cars Firebird au look lunaire et des véhicules lourds -bus et camions- qui n’aboutirent à rien. On peut s’étonner de cette persistance de la part de "world companies", dont les ingénieurs n’ignoraient probablement pas qu’une turbine n’est guère adaptée à la propulsion d’une automobile, pour les raisons déjà évoquées, mais aussi parce que ces engins là préférant travailler à charge constante ne goûtent guère les constantes variations de régime moteur propres aux engins terrestres, auxquelles ils répondent de surcroît avec une certaine inertie. Que des sommes sans doute considérables aient ainsi été englouties ne semble donc guère trouver d’explication logique, si ce n’est l’engouement contagieux pour tout ce qui avait trait à la propulsion réactive durant le "Jet Age".
Et pourtant. Il fut à nouveau question de voiture à turbine(s) en 2010, lors de la présentation de la Jaguar C-X75 au Mondial de l’Auto parisien. Si ce n’est que les deux dispositifs de taille réduite dont était pourvue la magnifique et très féline berlinette sportive avaient pour mission exclusive de charger des batteries alimentant les quatre moteurs électriques auxquels revenait la charge de la propulser. Une configuration cohérente sur le papier, permettant aux turbinettes de fonctionner à régime plus ou moins constant, même si ces dernières avaient disparu du communiqué annonçant ultérieurement la production du modèle, remplacées par un bête moteur à pistons. Mais nous étions en 2012 et le monde en crise n’ayant pas vraiment besoin d’une coûteuse sportscar de plus, la C-X75 rejoignit la Turbine Car sur les étagères de l’oubli, avant de se recycler dans le cinéma trois ans plus tard. Même si les sept exemplaires fournis à la production de "Spectre" pour laquelle elle servit de voiture de fonction au vilain combattant James Bond étaient motorisés par un gros V8.
Nul doute que les nombreux spécialistes ès hybrides parmi vous auront reconnu dans la définition originale de la jolie Jag une "EREV". Autrement dit un "véhicule électrique à autonomie étendue", embarquant en quelque sorte son propre groupe électrogène sous forme d’un moteur à combustion interne sans rapport à la transmission, mais qui recharge des batteries n’étant plus tributaires des chargeurs de bord de route, même si rien ne les empêche de s’y connecter à l’occasion.
Avec une architecture qui n’est pas sans rappeler celle des locomotives diesel-électrique dont les mécaniques abreuvées au gazole font tourner une génératrice qui alimente un ou plusieurs moteurs électriques, les EREV firent irruption dans l’automobile en option sur la BMW i3, et de série sur la Chevrolet Volt, plus connue dans nos contrées européennes comme Opel ou Vauxhall Ampera. Et si je vous en parle, c’est que les EREV sont de retour, notamment en Chine où elles ont trouvé pas moins de 1,2 million de clients l’année dernière, alors que GM, Hyundai ou Stellantis préparent une salve de modèles pour le marché nord-américain. Nissan également qui a déjà introduit en Europe des versions dénommées "e-POWER" de ses Qashqai et X-Trail, dont la marque japonaise vante le silence et la douceur de fonctionnement d’une électrique alliées à l’autonomie d’un diesel.
Que ceux que je vois d’ici affuter leurs arguments à charge ou à décharge de l’EREV ne comptent pas sur moi pour arbitrer leurs débats, tel n’étant pas le sujet de ce papier. Parce que ce qui m’intéresse ici, c’est l’engouement pour le moins surprenant que suscite telle ou telle technologie auprès de certains habitués de réseaux sociaux dont on se demande bien sur quoi se fonde leur enthousiasme soudain, alors qu’ils ne sont bien souvent pas plus compétents que le commun des mortels sur le sujet qui les mobilise. Pour reprendre l’exemple des EREV, on découvre ainsi à lire certaines publications récentes aux accents "nostradamiens" que ceux-ci seraient en passe d’envahir la planète, mettant fin à toute autre forme de propulsion puisqu’alliant le meilleur des mondes thermique et électrique ainsi réconciliés. A ceux qui psalmodient ce genre de crédo avec une ardeur toute religieuse, j’oppose un cinglant "dans t’EREV !", non point parce que ces hybrides-là ne présentent aucun avenir, mais précisément parce que nous n’en savons rien. Ni vous, ni moi, ni eux, ni même les vrais experts dont les connaissances approfondies constituent généralement le fondement d’avis nuancés.
Il est d’ailleurs difficile d’ignorer que les mini-dogmes prospérant en ligne constituent fréquemment l’expression d’intérêts à peine voilés quand ceux qui en font l’article sont les mêmes qui en vivent. Ne cherchez bien souvent pas plus loin que leur définition de fonction chez certains "EVangélistes", quand installateurs de bornes, journalistes (très) spécialisés, experts en décarbonation ou édiles verdissants expliquent doctement qu’il n’existe dans la mobilité d’autre chemin de rédemption que celui de l’électrification. Et même si les convictions intimes se forment aussi hors des compromissions -quand bien même purement intellectuelles- il serait tout de même naïf d’imaginer que celles-ci échappent à toute influence.
En "petrolhead" convaincu, il me plait ainsi d’imaginer un futur proche dans lequel des carburants de synthèse vertueux ou de l’hydrogène vert injecté sans autre forme de procès dans des moteurs à pistons nous permettraient de profiter pleinement de la combustion interne en nous épargnant la dissonance cognitive provoquée par les émissions de toutes sortes. Mais rien ne sert d’incanter quand ces solutions-là ne représentent dans l’état actuel des choses guère plus que des vœux pieux. De la même façon, je sais pertinemment que si la perspective d’un monde exclusivement électrique m’ennuie, tout cela se décidera sans moi, ma minuscule influence en la matière se limitant au choix de mes futurs véhicules, en admettant évidemment que je dispose encore de ce choix-là.
S’il est sans doute illusoire de prétendre s’affranchir totalement de tout biais idéologique, seule la conscience d’y être soumis permet de se livrer aux joies d’une analyse fondée sur l’observation et le désir de compréhension. C’est pourquoi je suivrai avec intérêt la trajectoire des EREV dont certains disent tant de bien. Et je ne manquerai sûrement pas l’occasion d’en prendre le volant dès qu’elle se présentera.
Et qui sait ? Peut-être un jour pourrai-je en faire autant à bord d’une voiture à turbine. Ou volante !

La Chrysler Turbine Car: un rêve brisé... (Crédit: Karmann)

Qashqai e-POWER: dans tes rêves, ou chez le concessionnaire Nissan ( Crédit: Nissan)

Howmet TX: Le Mans, version turbinée (Crédit: The359)

Chevrolet Bolt: la première EREV (Crédit: GM)