26/06/2025 - #Renault , #Alpine , #Bmw , #Ferrari , #Lancia , #Lexus , #Peugeot , #Porsche , #Proton , #Smart , #Ford , #Cadillac , #Toyota
La vérité si je (Le) Mans !
Par Jean-Philippe Thery

Cette année, je me suis rendu aux 24 heures. Et je ne vous cache rien !
Tout ça, c’est la faute de Catherine.
"J’peux pas, j’ai mariage en Bretagne", a-t-elle argumenté avant de se rendre complètement à l’Ouest. C’est comme ça que Jidé m’a proposé le billet de la 93e édition des 24 Heures qui lui était initialement destiné, et que nous avons nous aussi mis le cap sur le ponant, avec le Mans pour destination finale. Mais Attention, hein : on a "fait" les 24 heures en version "enceinte générale" sans option tribune et encore moins de réceptif VIP, sur le mode jambon-beurre-eau-minérale et le séant dans l’herbe, assis en tailleur bien qu’en jean baskets. Et dans les lignes qui suivent, je vous dis absolument tout. La vérité si je (Le) Mans !
Bon, on a tout de même atterri dans la capitale sarthoise en Rafale (le Renault, pas le Dassault), avec lequel nous nous sommes posés dans une zone pavillonnaire le matin même de la course. Et à peine avions-nous mis le pied sur le tarmac que se faisaient entendre les moteurs signalant l’imminence du warm-up. Autant dire qu’on n'a pas trainé pour enfiler sandwichs, bouteilles de flotte, crème solaire, alcool gel et power bank dans les sacs à dos avant de nous diriger vers l’entrée. Un petit quart d’heure de queue et nous sommes dans la place où nous ne résistons pas plus longtemps à l’attrait de machines dont nous savons pourtant parfaitement que nous aurons dans les heures à suivre tout le loisir de les observer. Et comme elle est la plus proche, c’est dans la zone située entre les esses de la Forêt et le virage du Tertre Rouge que nous nous installons sans attendre. Ça fait un bail que je n’ai pas vu de voitures de course modernes en action, et je m’octroie quelques instants pour m’adonner au plaisir des sensations retrouvées…
Mais très vite, vient le besoin de se tenir informé. D’autant plus que, précisément l’année où pas moins de huit constructeurs sont engagés dans la catégorie reine, j’ai particulièrement mal potassé le sujet. Vite, il me faut donc m’habituer à distinguer les Alpine, Aston-Martin, BMW, Cadillac, Ferrari, Peugeot, Porsche et Toyota avant que ne démarre une course qu’il est toujours plus facile de suivre à la téloche que sur un bord de piste, quand la position des voitures ne correspond pas toujours à celle du classement. Il y a pourtant des écrans véritablement géants disposés en différents points du tracé, mais loin d’être visibles partout, alors que la voix de Bruno Vandestick – speaker officiel de la course depuis 1993- ne parvient que par bribes entre le passage des autos. Et comme je n’ai pas envie de m’enfiler des écouteurs dans les oreilles nasillant la radio des 24h, je me déleste de 17 euros en ligne pour accéder au site officiel du WEC (World Endurance Championship), histoire de suivre le chronométrage. Si par hasard son concepteur me lit, j’aurais deux ou trois mots à lui dire sur la contre-intuitivité des menus, le fond noir qui le rend illisible sur un téléphone smart au soleil comme à propos de la liste des concurrents du GT3 qui n’omet rien de moins que le nom des voitures. Sans doute parce qu’il est de notoriété publique que le Team Akkodis roule en Lexus RC F et l’équipe Proton en Ford Mustang.
Nous nous rapprochons du Tertre Rouge pour le départ, mais de l’autre côté pour être au plus près du freinage, où les places sont déjà rares plus de trois heures avant que ne soit agité le drapeau quadrillé. Heureusement pour les sensibles de l’enveloppe cutanée de mon espèce, les nuages tempèrent les ardeurs du soleil, mais je n’en n’ai pas moins opté pour la protection d’un pantalon, de manches longues et d’un polo dont le col protège la nuque si relevé façon 80’s. Préférant cuire à l’étouffée que de rôtir, j’admire d’autant plus la résistance des élégantes en tenue légère, la composante féminine étant loin d’être anecdotique parmi les amateurs venus en nombre voir des voitures tourner en rond. Un public que j’ai tout le loisir d’observer durant cette longue attente au sein duquel se distinguent deux écoles de pensée logistique, entre ceux qui se déplacent léger et les adeptes du génie civil de campagne, parmi lesquels Quechua réalise pas loin de 90% de part de marché sur le segment des fauteuils pliants. Heureusement, l’annonce du départ interrompt bientôt ces digressions sociologiques de haute volée, et je peux de nouveau me concentrer sur la piste. Ça passe crème pour les furieux qui déboulent à plusieurs de front durant les premiers tours, avec pour seul incident une Porsche parvenant à éviter la sortie de route lors d’une incursion façon tout-terrain sur le bas-côté.
Malgré les 13,626 km de piste, il ne faut pas plus de sept tours pour que le serpent des 62 voitures étalées sur toute la longueur du circuit ne se morde la queue. Il faut dire qu’une grande partie du spectacle des 24 Heures réside dans les conséquents écarts de performance entre les trois catégories de voitures engagées, à l’origine de la grande majorité des dépassements. La commande d’appels de phare est donc copieusement sollicitée par les pilotes d’hypercars à l’encontre des GT3, qui leur rendent 30 secondes au tour et autant de km/h en vitesse moyenne. Ces dernières n’en n’ont pas moins les faveurs du public, sans doute parce que dérivées de prestigieuses sportives, elles sont à la fois reconnaissables et particulièrement élégantes. Sans compter la diversité de leur architectures tant châssis que moteur, entre les 6 cylindres à plat en porte-à-faux arrière, les V6 ou V8 en position centrale avant ou arrière, et même le V12 des très sensuelles Aston-Martin.
Une diversité que ne connaissent pas les LMP2 coincées entre les deux autres classes, devenue catégorie monotype, et dont je dois avouer que je ne m’y suis guère intéressé. Non seulement parce que ses concurrents pilotent le même prototype construit par Oreca, mais sans doute aussi parce que ce dernier ne disposait pas de l’intelligent panneau électronique équipant les flancs des Hypercars et GT3, indiquant la position au classement de leur catégorie respective. J’ai d’ailleurs principalement retenu du LMP2 qu’Olivier Panis en est l’un des patrons d’écurie -qui obtiendra la seconde marche du podium après avoir bataillé pour la victoire- et la chouette déco bariolée de la #183 dont j’apprends en préparant cette chronique qu’elle rend hommage à l’année du serpent chinoise. Au moins le V8 Gibson de 4,2L mouvant les LMP2 fait-il volontiers entendre ses 600 chevaux, même si celui-ci n’est pas particulièrement harmonique malgré son patronyme.
Les décibels restent d’ailleurs l’apanage des Hypercars et deux d’entre elles se distinguaient particulièrement par leur vocalises. Avec en vedettes américaines les Cadillac V Series R, bien décidées à affirmer leur présence par un V8 particulièrement "rocailleux", histoire de rappeler au spectateur même muni de bouchons d’oreille qu’une cage thoracique peut aussi servir de caisson de basse. A tel point qu’on dû serrer la moindre vis au frein filet sur ces grosses brutes, ce qui n’a pas empêché les deux voitures officielles du Cadillac Hertz Team Jota de rallier l’arrivée. C’est néanmoins aux Aston-Martin Valkyrie que je décerne mon diapason d’or à moi, à la fois mal et bien nommées, puisque si leur chevauchée n’eut rien de fantastique avec les 12e et 14e places à l’arrivée, les feulements de leur V12 frisaient l’orgasme acoustique à chaque passage à force de monter dans les tours. A tel point qu’on se serait presque cru au bord d’un circuit de F1 à l’époque glorieuse des 10 et 12 cylindres atmosphériques, et que je songe sérieusement à mettre en ligne une pétition pour réclamer l’obligation d’utiliser ce genre de mécanique sur les proto du WEC.
Le temps que je cause, la nuit s’est installée, initiant une autre course au sein de la course. Pour les pilotes bien sûr, fonçant à plus de 300 km/h dans le noir, mais aussi pour les spectateurs profitant d’une fraîcheur bienvenue. Tout paraît plus dense dans l’obscurité même si la lumière n’est jamais vraiment absente, des tribunes à la grande roue en passant par les stands, sans oublier celle des voitures dont les optiques surpuissants font passer les phares de votre auto pour d’aimables lumignons. Dans ces conditions, on apprend à reconnaitre les machines lancées à pleine vitesse par leur feux arrière, ou plutôt leur signature lumineuse comme on dirait au Marketing. Les Français facilitent la tâche entre les griffes de Peugeot et le A fléché d’Alpine, alors que les Ferrari misent sur l’élégance d’une fine barrette toute en largeur, dont les extrémités redoublent d’intensité lors des freinages. Et quand les Cadillac se la jouent vertical avec un trait incandescent sur toute la hauteur des supports d’aileron, les Toyota se font discrètes en illuminant à peine le bord des dérives d’aileron. Un spectacle à la fois fascinant et un peu frustrant, puisqu’on identifie la majorité des voitures au moment où elles s’en vont. Du coup, Jidé et moi avons opté pour l’extinction des feux en retournant au Rafale pour y dormir un peu.
Le sport version 24H du Mans, ça consiste surtout à marcher en regardant passer des voitures. Ou pas, puisqu’en dehors des nombreux points de vue sur la course, il y a aussi plein de trucs à faire. Et reconnaissons qu’avec une affluence record avec 332.000 spectateurs, l’Automobile Club de l’Ouest avait bien fait les choses entre le village des constructeurs et les huit fan zones, avec distributeurs de billets, navettes gratuites, animations de toutes sortes et pas moins de 62 points de restauration, soit un par voiture engagée. Il était même possible de louer un vélo comme de faire réparer le sien, ou d’envoyer une correspondance en colis express. Mes deux "kuddos" vont au superbe musée accessible avec le billet d’entrée jusque tard dans la nuit, ainsi qu’à la nouvelle et immense fan zone du karting, tapissée d’une moquette synthétique façon gazon qui ne plaira guère aux écolos, mais garantissant un espace sans poussière (ni boue s’il avait plu).
Bref, on friserait le sans faute si les toilettes hors du village disposaient de points d’eau et d’un auvent pour les urinoirs stratégiquement disposés le long des files d’attentes. Quant à certains agents de sécurité, il leur faudra encore apprendre que les spectateurs ayant investi une centaine d’euros dans une entrée ne sont pas venus se faire traiter comme des troufions par de pseudo-caporaux auto-investis de leur petit pouvoir. Un comportement heureusement minoritaire parmi ceux qui, aimables et souriants, avaient en charge le public.
Et bien sûr, il y avait aussi plein d’opportunités de dépenser son argent, les tarifs prohibitifs de certains produits dérivés ne semblant guère dissuader les acheteurs, à en croire les nombreux sacs siglés pendus à autant de mains. Et si Jidé a réussi à me retenir jusqu’aux dernières heures de la course, j’ai fini par craquer sous la pression des milliers de miniatures me faisant de l’œil de leur petits phares dans les trois magasins spécialisés qui les hébergeaient. N’en dites rien à mon épouse, qui ne remarquera peut-être pas la Lancia D20 et la Porsche Spyder 550 stratégiquement choisies au 1/43e pour mieux se planquer sur les étagères. Même si j’ai longtemps lorgné sur une Aston-Martin DBR1 beaucoup plus volumineuse, à laquelle j’ai fini par renoncer parce que je ne me voyais pas la trimballer jusqu’à l’arrivée. C’est du bout de la ligne droite des stands que nous avons assisté à cette dernière, non sans avoir "réservé" nos places deux heures à l’avance, juste devant l’accès emprunté par les 50 voitures rescapées pour retourner au parc fermé. Dont une certaine Ferrari 499P jaune privée qui non contente de devancer une Porsche 963, dama le pion à ses semblables de l’équipe officielle.
Dans le Rafale qui nous ramenait en banlieue parisienne, je me suis dis que si Catherine avait raté une sacré bagarre entre les trois premiers séparés par moins de 30 secondes et la première victoire mancelle de pilotes polonais et chinois, elle avait tout de même sacrément bien fait de se rendre à ce mariage. Ne lui dites d’ailleurs pas que les 24 Heures du Mans sont décidément toujours aussi magiques, au cas où elle recevrait un nouveau faire-part pour le weekend des 13 et 14 juin 2026…