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Analyse - 15/06/2021 - #Renault , #Volkswagen , #Bmw , #Ferrari , #Lancia , #Morgan

Cheveu sur la langue

Par Jean-Philippe Thery

Cheveu sur la langue
Le Kintsugi, ou l’art de réparer joliment les pots cassés

C’est un éloge de l’imperfection et des émotions qu’elle procure que je vous propose aujourd’hui. Des bols de thé chinois en morceaux à l’automobile, en passant par nos semblables…

Un mauvais jour de la seconde moitié du XVe siècle, le Shogun Ashikaga Yoshimasa brisa son "chawan" favori, lors de la cérémonie quotidienne du thé. Envoyé en Chine où il avait été fabriqué, le bol qu’il affectionnait tant en revint grossièrement réparé avec des agrafes, et pas même étanche, provoquant la colère du dignitaire qui se résolut alors à faire confiance aux compétences locales. Autant vous dire que le Cahier des charges stipulant que la solution employée devait être aussi esthétique qu’efficace fut écouté avec la plus grande attention par les artisans responsables de rendre sa superbe au précieux récipient.

Ainsi naquit le Kintsugi.
Les amateurs de Rock Indie parmi vous penseront immédiatement à l’excellent album de Death Cab for Cutie, sorti en 2015. Mais connaissent-ils l’art ancestral qui lui a donné son nom, consistant à réparer un objet de céramique cassé en soulignant ses cicatrices d’une poudre d’or, plutôt que de les cacher ? En Japonais, "Kin" signifie "or" et "Tsugi" jointure, alors que le  "kintsukoroi" désigne l’art du raccommodage à l’or (ou tout autre métal). Mais que ceux imaginant un vulgaire collage badigeonné de peinture à paillette se détrompent : L’opération est aussi longue que délicate, pouvant durer des semaines voire des mois.

Elle commence par le recollage des morceaux à l’aide d’urushi,  laque dont il vaut mieux éviter de s’enduire le derme, sous peine de ressentir pendant plusieurs jours de terribles démangeaisons. Puis, après séchage et ponçage, vient le temps de saupoudrer les fissures du précieux métal dont les particules seront absorbées par la laque encore humide, donnant l’illusion d’une coulée métallique. Et comme l’opération ne supporte pas la moindre poussière, certains maitres Kintsugi exerçaient leur art en mer après s’être rasé le crâne. 

S’agissant d’un art nippon, le Kintsugi comporte forcément une dimension philosophique qui s’exprime dans le wabi-sabi. Rien à voir avec le condiment vert dont on badigeonne les sushis, puisqu’il s’agit d’une pensée associant l’humilité face aux phénomènes naturels (Wabi) à ce que l’on ressent face au travail du temps ou des hommes (Sabi), invitant donc à reconnaître la beauté qui réside dans les choses simples, imparfaites et atypiques.

Dans son ouvrage intitulé "Kintsugi, l’art de la résilience" Céline Santini précise encore : "Le Wabi Sabi invite à la contemplation, et au détachement par rapport à la perfection. Il souligne le caractère irréversible du temps qui passe et l’aspect éphémère de toute chose, et appelle à apprécier l’humble beauté des choses simples, patinées par les années et les épreuves…" 

Le Kintsugi constitue donc une forme de chirurgie esthétique appliquée aux objets, même s’il représente l’antithèse des injections de Botox, acide hyaluronique et autres substances du genre, et s’apparente davantage à ces tatouages destinés à masquer une cicatrice, à moins qu’il ne s’agisse de la magnifier. Mais il nous incite également à la réflexion sur ces imperfections -ou du moins supposées telles- pourtant capables de nous émouvoir.

Il est ainsi des regards affectés d’un subtil strabisme à la beauté troublante, des mots rendus charmants par une légère dyslalie, et des balafres qui donnent une gueule d’enfer. Et puis il y ces rides qu’on dit d’expression, que le temps dépose plus joliment sur certains visages que d’autres, même si leur "propriétaire" ne songe bien souvent qu’à s’en débarrasser. Mais restons-en là, avant que certains lecteurs ne confondent cette chronique avec des aveux. 

D’ailleurs, l’heure est venue de vous parler de mon amie Sophie. Inutile pourtant d’imaginer quel charmant détail la rend irrésistible (ne doutez pas qu’elle le soit), puisque c’est de sa voiture dont je compte vous entretenir. Ou plutôt de la Mini Cooper S de première génération qu’elle a possédée il y a quelques années, dont elle a eu la gentillesse -ou l’inconscience- de me confier le volant un beau jour de pluie. J’en garde le souvenir d’une auto au caractère enjoué, et d’un train arrière curieux d’aller voir ce qui se passait à l’avant lors de freinages appuyés sur le tarmac mouillé. A l’avant justement, les roues motrices essayaient non sans mal de contenir les 160 chevaux dispensés par la mécanique compressée. 

A la première remise de gaz en sortie de courbe, je me pris un sérieux rappel à l’ordre dispensé par un antipatinage castrateur, manifestant son zèle par témoin lumineux interposé. Bis repetita au virage suivant, alors que je croyais avoir pourtant modéré les ardeurs de mon pied droit. Mais le plus surprenant fut sans doute la réponse de Sophie alors que je me lançais dans de fumeuses explications sur les pertes de motricité du train Avant et le fonctionnement de l’ASC+T/DSC : "La lumière jaune qui clignote, là ? Ah moi j’aime bien. J’ trouve ça rigolo." 

A contrario, c’est à une réaction beaucoup moins enthousiaste que j’eu droit quelques années auparavant, de la part des passagers de la Renault 21 Turbo à bord de laquelle nous évoluions, et dont j’entrepris justement de taquiner le turbo à une époque où ceux-ci avaient du lag et n’en n’avaient pas honte. Coincé entre le trafic autoroutier du dimanche soir et la crainte de recevoir une mauvaise photo souvenir par la poste, je m’amusai donc à titiller le Garrett en laissant tomber le régime moteur sous la plage d’utilisation avant de réaccélérer franchement . Mais les occupants et leurs organes internes eurent tôt fait d’en avoir marre, et me sommèrent de cesser sur le champs mes sessions d’accélération/décélération, sous peine de restituer sans sommation leur quatre-heures sur la sellerie en cuir. Autant vous dire que j’ai obtempéré sur le champs.

Dans la série des petits défaut que j’aime, me revient aussi la Lancia HPE que j’ai utilisée comme "daily" (comme on dit en langage Youngtimers), et dont il valait mieux doser l’accélération au démarrage pour ne pas être emmené sur le bas-côté. Il y a encore une Morgan pas vraiment étanche, ou la superbe Triumph TR3 que j’ai mentionnée dans l’une de mes premières chroniques intitulées "Faites-moi une mauvaise voiture neuve", qui ne passerait pas la première page du cahier des charges d’un modèle d’aujourd’hui, ce qui la rend d’autant plus sympa à conduire. Dans un tout autre genre, les fans de Harley-Davidson évoquent le son de leur machine avec des trémolos dans la voix -même lorsqu’ils ne sont plus en selle- lequel procède semble-t-il du déséquilibre inhérent au deux cylindres en V à 45°, avec son maneton unique pour deux bielles entrecroisées. 

Alors dites-moi, qui sommes-nous pour expliquer à Sophie qu’elle se trompe quand elle trouve amusant de déclencher le machin qui fait clignoter l’indicateur dans le compte-tours ? Suis-je le seul à penser que les mécaniques suralimentées étaient bien plus rigolotes quand on n'écrêtait pas les courbes de couple ? Sans aller jusqu’à la radicalité des roadsters britanniques, n’avons-nous pas besoin d’un peu plus de good vibrations dans nos vies automobiles de tous les jours ? Les Harley-boys n’ont-ils pas le droit d’apprécier les syndromes parkinsoniens du V Twin ? (même si j’avoue que ce n’est pas mon chawan de thé)  Et pour clore la liste des interrogations, Sacha Guitry pensait-il aussi à l’automobile lorsqu’il disait qu’"Aimer des défauts, c’est prendre leur défense" ? 

Mais je sens bien qu’à n’évoquer que ces machines du passé, je vais sans doute paraître un peu boomer sur les bords. C’est que je me demande parfois si nos autos d’aujourd’hui ne sont pas devenues un peu trop parfaites, ou plus exactement trop exemptes de défauts. Loin de moi l’idée de refuser les formidables progrès effectués en matière de sécurité, de fiabilité ou d’émissions. Il n’en reste pourtant pas moins que depuis les années 80 et l’apparition des premières Adas (Advanced Driver Assistance System, ou système d’aide à la conduite), les constructeurs s’emploient non seulement à perfectionner la machine, mais aussi à réduire progressivement l’influence du plus grand facteur d’incertitude qui s’y trouve, localisé quelque part entre le volant et le siège.

Une logique quasi-darwinienne, qui ne peut trouver son aboutissement que dans la voiture "à conduite automatisée", même si nous ne sommes probablement prêts de la voir, compte-tenu des puissances de calcul embarquées faramineuses qu’elle requière (d’autant plus que les puces ont dernièrement tendance à se faire rares).

Et c’est justement parce que nous conduisons encore nos voitures, que nous en sommes rendus au point où certains constructeurs recréent artificiellement ces défauts qui font défaut. Par exemple, alors que l’acoustique moteur s’approche enfin de ce qui devrait constituer son idéal de silence grâce au propulseur électrique, certains constructeurs balancent des bruits mécaniques dans les haut-parleurs de leurs systèmes audio.

C’est semble-t-il Volkswagen qui a inauguré l’"ère des fake sounds" sur la Golf GTI de 2011 et son système "soundaktor" utilisant un haut-parleur situé entre le compartiment moteur et l’habitacle, suivi un an plus tard par une BMW M5 dont le constructeur est pourtant connu pour ses mélodieuses mécaniques. Il y a aussi l’ESP qui privait il y a encore peu les conducteurs de sportives du droit fondamental de faire glisser leur auto. Un problème essentiel désormais résolu grâce aux ESP "permissifs" autorisant survirage et prise d’angle contrôlés, dénommés SSC par Ferrari et LDVA chez Lambo . Il n’y a donc plus qu’à attendre que le machin se démocratise pour qu’on aille tous s’amuser sur les ronds-points les jours de pluie ou d’arrosage des fleurs.

Tout cela sera-t-il suffisant pour nous rendre ces imperfections synonymes de personnalité ? Mon espoir, c’est qu’il y ait suffisamment d’ingénieurs dans l’automobile appréciant Yael Naim ou Freddy Mercury qu’un cheveu sur la langue n’a jamais empêchés de chanter, qui pensent que la coquetterie dans l’œil d’un Ryan Gosling ou d’une Demi Moore ne fait qu’ajouter à leur sex-appeal, ou qui pratiquent le Kintsugi à leur heures perdues.

D’ailleurs, je vous laisse. C’est bientôt l’heure du thé, et je n’ai toujours pas réparé le couvercle cassé du mug dans lequel j’ai coutume de boire mon Lapsang Souchong. Je me demande d’ailleurs où j’ai bien pu laisser ma poudre d’or…

Réactions

« Mini Cooper S de première génération »… c’est drôle, on ne voit pas tous la même voiture.

Effectivement ...(étonnant même de la part d'un boomer assumé)
;0)

... Sinon la transition du Kingtsugi à la charmante coquetterie dans le regard ne l'est pas moins ..."contre les femmes, tout contre" pour rester sur les sources ou références du chroniqueur ...
;0)

« Mini Cooper S de première génération » ...mais avec photo pas mal retouchée comme il se doit pour tout mannequin à la mode !!

C'est vrai qu'on était plus dans le Monte Carl' 64 en le lisant..
;0)

D'accord avec Michel, et donc Adeairix. Pour moi la Mini Cooper de première génération n'est pas celle de la photo, mais alors vraiment pas.
D'ailleurs je pense que peu de monde sait que les marketeurs de BMW se sont battus comme des diables pour que leur Mini s'écrive MINI, en vain, tout le monde s'en fichait royalement.

Un peu comme les breaks qui ne doivent jamais s'appeler break chez de nombreux constructeurs, mais Touring, SW comme wagon (de chemin de fer), V comme Vreak chez Volvo, le summum de la bêtise étant chez Audi qui l'appelle Audi Avant !
La connotation break était jugée trop "utilitaire" tandis que le U de SUV le rappelle à qui mieux mieux et ne froisse plus personne. Ah la mode...

Sinon, ce n'est pas moi qui vais blâmer le "lag" des turbos Essence des années 80. Quel pied !

Remarquez Bruno que sur nos chères (double sens) merveilles d'électronique et de fly by wire que nous conduisons aujourd'hui il y a le "bug lag" dont personne parle jamais.
Essayez en roulant cool à 30 km/h de mettre brutalement gaz à fond, vous allez sentir les électrons passer dans les puces pour aller chercher les datas pas prévus dans ce cas de figure dans la mémoire.
Pas de quoi boire une bière, mais assez pour la décapsuler.
Un PdG avec un câble et avec une belle pompe de reprise mécanique qui t'envoie l'equivalent du verre de bière en essence à chaque accélération c'était pas si mal !
;0)

J'ose espérer que les membres des services marketing des constructeurs auront pris conscience en lisant cet article de la détresse morale de Jean-Philippe face à son mug dont la coupelle est cassée ! En perdant de fait toute sa valeur sentimentale, ainsi que sa valeur marchande à la broc de Copacabana, ils sauront lui envoyer un mug de leur marque, dont leurs cagibis regorgent de 20 années de retours de présentations presse, en signe d'amitié confraternelle...
Tenez bon JP et guettez le facteur !
;0))

J'imagine PdR vs PdG. (ou bien je passe à côté de qqch ?)
Quatre carbus sur le V8 5,7 l du Sunbird, je peux vous assurer que ça gicle sévère à la remise de gaz. Pas de lag à ce moment là, mais un peu quand j'attends à la station service du Carouf de Sévrier pour remplir les jerrycans, bein oui, faut bien.

Sinon, je tenterai l'expérience du 30 km/h puis gazafon.

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