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Chronique - 12/05/2022 - #Renault , #Peugeot

Le monde d’hier

Par Jean-Philippe Thery

Le monde d’hier
Comme un avion sans ailes.

Aujourd’hui, je vous parle de mon monde d’hier. Et de ce qu’il nous dit sur celui de demain…

Hier, j’étais sur un circuit.

Un truc construit il y a bientôt cent ans, où se trouvaient rassemblés d’hétéroclites véhicules à deux, quatre voire trois roues, à peine plus jeunes que l’endroit lui-même pour les plus récents d’entre eux. Des engins toussant, pétaradant, éructant même s’agissant des plus extrovertis, expulsant de tubulures d’échappement peintes à la suie d’odorantes et grasses arabesques de fumées. Aux commandes souvent inusuelles de ces créatures très mécaniques s’accrochaient de drôles d’individus dont il était parfois difficile de distinguer qui de l’un dominait l’autre ou inversement. Et pendant que ceux-là se baladaient en piste, ça saucissonnait dur dans les abris provisoires montés dans l’enceinte formée par la piste. C’était sur l’autodrome de Montlhéry et ça s’appelait le “Vintage Revival“, un évènement strictement réservé aux voitures automobiles et motocyclettes d’avant-guerre.

Autrement dit, un vrai truc de boomer.

Un ciblage sociodémographique à première vue confirmé par l’abondance de toisons blanches (ou leur absence), de barbes en cinquante tons de poivre et sels et/ou bedondaines saillantes, dont les propriétaires déambulaient au milieu de l’étrange machinerie qui s’y trouvait exposée. Mais une observation plus attentive permettant de repérer la présence concomitante de nombreux vingtenaires et trentenaires ne manquait pas d’interroger sur l’âge auquel on devient potentiellement ringard. Et puis il y avait ces enfants et ados les accompagnants, auxquels on aurait volontiers accordé l’excuse d’avoir dû suivre leurs vieux, s’ils n’avaient affiché le même sourire ravi qu’arboraient tous les participants à l’évènement. Un sourire d’autant plus inquiétant dans un univers qui ne l’était pas moins, qu’il s’agissait pour eux de commémorer les vertus du monde d’hier, dont on nous répète pourtant à l’envi qu’il faut nous en débarrasser au plus vite.

A moins que…

Ayant connu le succès dans la fabrication et le commerce de radiateur pour avions et automobiles, Alexandre Lamblin décida qu’à l’instar de Brooklands au Royaume Uni, Indianapolis aux Etats-Unis ou encore Monza en Italie, Paris devait elle aussi disposer d’un circuit permettant aux chasseurs de record de repousser les limites de la vitesse. Sur un terrain acquit l’année précédente à 30 kilomètres au sud de la capitale, il fit construire en 1924 un anneau de vitesse long de 2.548 m, conçu pour qu’un véhicule d’une tonne puisse atteindre 220 km/h. Erigée en à peine 6 mois, l’énorme structure soutenue par une véritable dentelle de poteaux, poutrelles et entretoises de béton accueillit son premier évènement dès le week-end des 4 et 5 octobre de la même année, laquelle ne s’acheva qu’après qu’une bonne centaine de records eussent été battus. Une rapidité d’exécution stupéfiante, laissant à penser qu’un ancêtre des méthodes Agile existait déjà du côté de l’Essonne durant les roaring twenties.

Puis Monsieur Lamblin ajouta l’année suivante un circuit routier de 12,5 km au banking, grâce auquel s’y déroula le Grand Prix de l’Automobile Club de France. Mais pour louable qu’elle fût, son ambition fit probablement oublier à notre homme l’aphorisme voulant que pour construire une petite fortune dans le sport automobile, on commence par une grande, et les coûts de construction comme les frais d’exploitation de l’ensemble entrainèrent bientôt la faillite du complexe qui fut prononcée le 13 janvier 1926. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, le groupe industriel qu’avait constitué l’inventeur connu le même sort deux années plus tard, sans doute fragilisé par ses investissements montlhériens. Une disgrâce qui ne fut probablement pas étrangère à la dégradation de son état de santé, qui s’avéra fatale en 1933.

Mais ce que je préfère retenir d’Alexandre, c’est qu’il était sans doute l’équivalent de certains patrons de start up d’aujourd’hui. Songez donc que celui-ci déposa dès l’âge de 28 ans le premier de nombreux brevets touchant à des domaines aussi variés que la photographie, le refroidissement de moteurs d’avions et terrestres, le bâtiment, la télégraphie ou le matériel ferroviaire. Et comme tout ça ne suffisait apparemment pas à occuper ses journées, celui-ci se lança également dans la presse spécialisée avec l’Aéro-sport, magazine consacré à l’aviation et autres sports mécaniques, lequel fut d’ailleurs partie prenante du projet de l’autodrome.

Pour autant, l’homme au long circuit n’était pas le seul sociétaire de la start up-nation des années de l’entre-deux-guerres. Tenez, prenez Marcel Leyat. Voilà un individu qui fut un pionnier de l’aviation dans les airs, mais aussi sur terre. Imaginez en effet un aéronef sans ailes ni empennage, tracté au sol par une immense hélice située à l’avant, et vous obtiendrez une représentation très fidèle de l’Hélica, la voiture qu’il produisit en une vingtaine d’exemplaires à partir de 1919. C’est à bord de l’un des exemplaires survivants que j’ai eu le privilège d’effectuer un bref tour, grâce à l’immense gentillesse d’Alberto qui en est aujourd’hui le dépositaire, et derrière qui je me suis installé dans le fuselage en contreplaqué. J’ai ainsi vécu pour un court instant l’étrange sensation de voler sur l’asphalte, doublée de l’émotion de m’être installé à bord d’un véhicule véritablement historique.

Revenu (les pieds) sur terre, je me suis dit que si l’Hélica portait à sourire, c’était plus en raison de la poésie qui se dégage immanquablement d’un engin tout droit sorti d’un roman de Jules Verne, semblant hésiter en permanence entre deux dimensions, que de l’apparente ingénuité de son concept. Car ne nous y trompons pas : à l’époque où le virtuel relevait encore du virtuel, c’est dans le réel que l’on expérimentait, et les solutions qui ont subsisté jusqu’à nous doivent beaucoup à ces excentricités abandonnées sur les bords de route de l’histoire. Bref, Marcel Leyat était un Chief Innovation Officer avant l’heure, dont la drôle de bestiole fut tout de même chronométrée à une centaine de km/h.

Le Vintage Revival de Montlhéry, c’était aussi l’opportunité d’une belle leçon de mécanique interactive grâce à des machines qui pour une partie d’entre elles exhibaient encore leurs entrailles. Si par nature, les moteurs à combustion interne dissimulent cylindres et pistons, il n’en va en effet pas forcément de même pour les pièces composant la distribution, quand s’expose sans pudeur des culbuteurs et leurs tiges s’agitant frénétiquement, de concert avec les ressorts de soupapes.

De ce point de vue, la palme de l’indécence revenait sans doute à la Darracq 200 HP de 1905, une voiture de record dépourvue de la moindre carrosserie, et dont non seulement le moteur à huit cylindres en V de 25.422 cm³ s’offre à tous les regards, mais aussi les composants de sa transmission. Construite afin de promouvoir la marque fondée par Alexandre Darracq, laquelle représentait en 1904 10% de la production française derrière Renault et Peugeot, cette terrifiante automobile fut donc envoyée battre plusieurs records aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, avant d’être menée à 197 km/h par l’intrépide Victor Demogeot. A l’époque, les concepts-cars ne fréquentaient pas forcément les salons, mais se battaient à coup d’unités de mesure, entre miles ou kilomètre lancé ou Vmax, et Alexandre le financier avait déjà bien compris les ficelles du marketing.

En repartant de Montlhéry à bord d’une auto récente, dont les principes mécaniques ont été mis au point à l’époque des Alexandre et Marcel, je me suis dit que les ringards n’étaient peut-être finalement pas ceux qu’on croit. Et que l’homme d’aujourd’hui serait sans doute bien avisé d’observer attentivement le monde d’hier s’il veut préparer celui de demain, et pas seulement parce que ce dernier finira bien par appartenir au passé.

Quant à mon monde d’hier, je me suis vu rappeler dans la circulation parisienne d’aujourd’hui qu’il était décidément bien sympathique, après avoir essuyé les vociférations d’un automobiliste klaxonné pour avoir bloqué un croisement et le majeur levé d’un piéton traversant au rouge…

Réactions

Le souvenir le plus marrant que j'ai eu de Montlhéry est ancien, quand j'ai fait un stage aux bancs d'essais chez MBK à Pantin en 1980 et que l'ingénieur en chef m'emmène un matin à Monthléry pour son suivi des tests d'endurance des mobs de l'époque. Arrivé sur le circuit je vois tout le monde qui tourne dans le sens contraire du sens des courses ! But what ?
Ben oui mon bon monsieur, les courses sens trigo (Nous étions entre suce-boulons, donc métalanguage de suce-boulons !) et pour les essais c'est dans l'autre sens... qui est le sens originel de l'anneau..
Je ne sais pas si c'est toujours comme cela.
;0)
PS : j'ai encore et toujours une pensée émue pour les pilotes qui tournaient des heures à 45 km/h en mob sur l'anneau (enfin en bas !) pour ces tests d'endurance et à qui on demandait en plus de rentrer chez eux le soir avec leur engin pour leur coller encore plus de bornes en situation ville. Un gros spécial souvenir pour le gars qui testait le Solex 3800, parce qu'avec 500W, 3800 tr/mn à fond et 3 segments dans un cylindre fonte, il était estimé une perte de compression à partir du milliard de km...

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