25/03/2021 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Audi , #Bmw , #Ferrari , #Hyundai , #Honda , #Jaguar , #Lancia , #Mazda , #Mitsubishi , #Nissan , #Opel , #Peugeot , #Pininfarina , #Polestar , #Porsche , #Skoda , #Fiat , #Ford , #Seat , #Toyota
Coupez !
Par Jean-Philippe Thery

Les belles voitures, ça se dessine aussi avec des ciseaux. A moins que ces derniers ne servent à couper dans les gammes des constructeurs, histoire de renouveler l’espèce automobile.
Imaginez une voiture de deux ou trois portes aux places arrière inexistantes, ou dans le meilleur des cas conçues pour des enfants à l’échelle 2/3 démunis de membres inférieurs. Une auto pourvue d’un habitacle bas de plafond et de portières longues comme un jour de confinement sans visioconférence, et dont le volume de coffre rivalise avec celui d’un vanity-case.
Force est de reconnaître qu’un coupé se définit par ses limitations. A l’époque où l’on se mouvait par équidé interposé, le vocable désignait une "Voiture hippomobile fermée raccourcie, au nombre de places limité". Autrement dit, une espèce de demi-bagnole dérivée de berline dont on aurait amputé une partie de la carrosserie au point de n’en conserver qu’une glace sur chaque côté. Comme avec le temps va tout s’en va, l’acceptation contemporaine du terme s’étend aux véhicules à deux vitres latérales (autrefois désignés comme coach), et pas nécessairement dérivés d’un autre modèle.
Autrement dit, un coupé n’est pas un véhicule très malin, d’autant plus qu’il fait généralement payer ce qu’il a en moins au prix fort, a fortiori si on le compare à une berline de standing équivalent, capable d’emmener confortablement cinq passagers bien nourris et leurs bagages. Et je ne fais pas même ici allusion à ceux qu’on fabriquait autrefois à la main sur commande spéciale, par dépeçage d’une berline innocente. Dans les années 60, le carrossier Chapron facturait ainsi l’équivalent de deux Citroën DS son modèle "Le Dandy" dont la construction n’avait pourtant nécessité de n’en sacrifier qu’une seule.
Il faut dire que le coupé est à l’automobile ce que l’aristocratie est à la société. Une catégorie dont l’utilité pourra paraître discutable, mais qui se plaît à ostenter ses atours. Et la métaphore est d’autant plus "filable" que les considérations d’ordre vulgairement pécuniaire ne sont pas forcément de mise, puisque de la même façon qu’il existe des familles à particule fauchées, on trouve -ou du moins on trouvait- des coupés au tarif accessible pour le citoyen ordinaire. On éliminera d’ailleurs de cette réflexion les engins au tarif délirant venus d’Emilie-Romagne, du sud d’Albion ou de Germanie supérieure. Ceux-là se font plutôt désigner comme "berlinetta" ou "Grand Tourisme", ces derniers n’ayant crainte d’afficher la futilité des transports auxquels ils se livrent.
Quoi qu’il en soit, rouler en coupé n’a rien d’anodin. La démarche relève en effet d’une espèce de manifeste motorisé, par lequel le propriétaire-conducteur (ou son alter-ego féminin) affiche délibérément son mépris pour les basses contingences auxquelles sont soumis la grande majorité de ceux à qui il refuse la noble appellation d’automobiliste.
Se déplacer en conduite intérieure deux places ou deux-plus-deux qui ne font pas vraiment quatre, c’est en effet se moquer ouvertement du père de famille trimballant ses deux sièges ISOFIX maculés du chocolat dont on couvre les Pépito, Et s’il lui arrive -nécessité faisant loi- de se rendre au supermarché, il ne se préoccupe pas tant du volume limité de victuailles qu’il pourra emmener, que de garer son auto loin des fâcheux qui appuient leurs portières sur celles des voisins. Sa "malle" est d’ailleurs occupée pour moitié par une caisse soigneusement rangée, où l’on trouve pas pêle-mêle un aspirateur à brancher sur la prise 12 volts, moults produits d’entretien ou plutôt de beauté, ainsi qu’une éponge 100% végétale pour carrosserie durable.
Des autres catégories automobiles, seuls les cabriolets semblent trouver grâce aux yeux de notre esthète, bien qu’il réprouve l’exhibitionnisme dont font preuve certains conducteurs de découvrables, sans doute parce qu’ils sont les seuls à pouvoir lui voler la vedette. S’il manifeste une certaine indifférence à l’égard des berlines dont il feint d’ignorer que les dessous de son automobile sont issus, il affiche en revanche un mépris non dissimulé à l’encontre de tout ce qui possède une architecture haute, réussissant l’exploit de toiser de haut les propriétaires de monovolumes et autre SUV quand par malheur -c’est-à-dire de plus en plus souvent- l’un d’entre eux a l’outrecuidance de s’arrêter à son côté au feu rouge. Une confrontation immobile pourtant amenée à se raréfier, puisqu’au grand dam de ses amateurs, la catégorie des coupés se meurt.
Ayant moi-même pratiqué le genre à l’époque où j’avais droit à une voiture de fonction estampillée d’un losange, je serais bien en peine de choisir dans la gamme actuelle du constructeur le successeur du Coupé Mégane rouge cerise de première génération que j’avais alors choisi pour mes déplacements quotidiens. Une voiture à laquelle je porte une certaine affection pour l’avoir "test-cliniquée" dans plusieurs pays européens, où elle fit tour à tour passer la Citroën ZX Coupé pour une Lada en Allemagne, et le Coupé Fiat pour une mini-Ferrari à Paris. Mais je ne trouverais pas mieux chez Peugeot puisque le RCZ a été privé de descendance, et que Monsieur Pininfarina n’y recycle plus depuis la 406 les dessins vendus chez Ferrari. Et si je tiens absolument à rouler en coupé, il me faudra également renoncer à bosser chez Alfa-Romeo, Fiat, Honda, Hyundai, Mini, Mitsubishi, Nissan, Opel, Toyota, Volkswagen ou Volvo, qui en ont pourtant proposé dans le passé (je plaisante. Vous pouvez faire suivre vos propositions à la rédaction qui transmettra).
Et si vous préférez penser que le haut de gamme est épargné, passez directement au paragraphe suivant. Parce que même Mercedes pourtant grand pourvoyeur du genre, participe désormais à l’extinction en masse des autos à deux portières. Et si la Classe S n’est pas exactement à la portée de toutes les bourses, l’absence de déclinaisons coupé et cabriolet sur la génération W223 qui vient d’être lancée -une première depuis 1979 pour le haut de gamme du constructeur- est annonciatrice de mauvaises nouvelles pour les futures Classe E et C. Il ne nous reste donc plus qu’à espérer que les Product Planners de Munich ou Ingolstadt ne mimétisent pas trop ce qu’on décide à Sindelfingen.
A moins que l’apparente disparition des coupés ne cache en fait l’une de ces mutations dont la génétique automobile a le secret, et dont les premières expériences remontent à l’entre-deux guerres s’agissant de la catégorie qui nous préoccupe aujourd’hui. Parce que si vous pensiez que Mercedes est l’inventeur du coupé-cabriolet, c’est que vous ne connaissez pas Georges Paulin. Chirurgien-dentiste, styliste automobile à ses heures et héros de la résistance, c’est pourtant lui qui inventa le toit métal rétractable avec le système "Eclipse" décliné chez Peugeot à partir de 1934 sur plusieurs modèles de sa gamme. Ford le repris en 1957 sur sa Fairlane Sunliner avant qu’en 1996, la marque à l’étoile ne lance avec le SLK une mode qui fit le bonheur de plusieurs constructeurs, dont Peugeot avec notamment sa très réussie 206 CC. Depuis, le métal cab a quasiment disparu, et seule Mazda maintient le concept en vie sur un modèle abordable, avec la version RF de l’excellente MX5.
Plus surprenant fut le destin des "shooting brakes", ce drôle de croisement entre un break et un coupé, à l’origine cantonné à des manipulations artisanales sur base Aston-Martin ou Jaguar, avec la superbe Lynx Eventer plus élégante que la XJS sur laquelle elle était construite. Bien que n’ayant pas pour habitude d’occire les petites bêtes en sous-bois à coups de Holland & Holland, j’ai moi-même roulé en "Break de chasse" comme on les appelle ici, au volant d’une Lancia HPE. Le constructeur italien ne fut pas le seul à tenter l’exercice en série, puisque Volvo avec ses 1800 ES et 480 ainsi que Honda et sa Accord Aerodeck s’y sont entre autres également livrés. Mais on croyait l’espèce éteinte depuis la disparition du controversé Coupé BMW Z3, alors que le gène a semble-t-il été maintenu en laboratoire, donnant récemment naissance aux Mercedes CLA, Porsche Panamera Sport Turismo et Volkswagen Arteon Shooting Brake. Reste à observer si ce variant allemand (sans rapport avec la Volkswagen du même nom) finira par contaminer les pays voisins.
Mais c’est à la pourtant très conservatrice Rover que l’on doit la manipulation la plus radicale dans la catégorie, et plus précisément au styliste David Bache qui contrairement à ses collègues découpeurs pensa horizontal au moment d’user de la scie sauteuse. C’est donc l’altière P5 qui vit son pavillon ratiboisé, reprenant une technique chère aux "hot-rodders" californiens qui "choppaient" le toit de leur auto pour en diminuer la surface frontale et donc la résistance aérodynamique, afin d’en améliorer les performances au cours des très illégales "street-races" dans lesquelles elles étaient engagées. Le résultat n’eut cependant rien de shocking, donnant naissance au premier coupé 4 portes de l’histoire automobile (si l’on oublie les "coupés-chauffeurs" d’avant-guerre) faisant montre d’un style extrêmement harmonieux. Si aucun autre constructeur n’emboita le pas à Rover à la fin des années 60, ce fut de nouveau en Allemagne qu’on redécouvrit la souche, avec la superbe Mercedes CLS lancée en 2004, depuis copiée par BMW et ses déclinaisons Gran Coupé, ainsi que par Audi. Et celle-ci est d’autant plus vivace qu’elle s’apprête à muter en version électrique avec la sortie imminente des Audi e-tron GT et de la BMW i4 Gran Coupé.
Je ne m’étendrai guère sur l’unique expérience de croisement d’un SUV et d’un monospace, à laquelle j’avoue avoir participé en organisant le Clinic-Test d’un prototype qui deviendrait plus tard l’Avantime (mais dont le style était alors très différent). On sait ce qu’il en advient, et je ne suis pas certain qu’on exhume de sitôt l’éprouvette renfermant son ADN.
En revanche, ceux qui ne donnaient pas cher de la peau du BMW X6 lors de son lancement en 2008 en sont pour leurs frais, puisque le véritable oxymoron automobile que constitue l’accouplement d’un SUV et d’un coupé a depuis largement pullulé. Mercedes a maintenant les siens avec les GLC et GLE Coupé, alors qu’Audi propose ses versions "Sportback" sur ses modèles Q3 et Q5, dont les cousins arrivent chez Seat, Skoda et Volkswagen. Et les molécules voyageant décidément très bien, figurez-vous que le Brésil possède désormais son Coupé SUV le Volkswagen Nivus, construit sur la plateforme MQB A0 (celle de la Polo), et lancé en mai dernier. N’en déplaise aux râleurs de tout poil, c’est donc principalement le SUV qui perpétue aujourd’hui la tradition des voitures découpées, et mes anciens collègues de chez Renault ont probablement déjà signé la demande de remplacement de leur véhicule actuel par un Arkana, pendant que ceux de Citroën font semblant de croire que leur nouvelle C4 est une berline.
Quant à moi, quand je serai devenu un auteur à succès, je me verrais bien rouler en Polestar 1. Un coupé traditionnel pour une marque qui ne l’est pas, doté d’une motorisation hybride rechargeable offrant plus de 100 km d’autonomie en électrique. Ou comment rester branché quand on est un incorrigible conservateur.